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La lecture de Nico : coups de cœur (et de griffes) livresques

27 juillet 2018

La ville fantôme (Morris et Goscinny, 1965)

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    La ville fantôme n’est peut-être pas le meilleur épisode de la série du cow-boy solitaire, mais il n’en demeure pas moins remarquablement abouti. Tous les ingrédients sont en effet au rendez-vous de cette aventure, où l’on trouve de l’humour, de l’émotion, une atmosphère et même des saucisses ! Une mention spéciale pour l’émotion : lorsque je lis les derniers opus de Lucky Luke (et aussi d’Astérix), je constate qu’ils se limitent souvent à une succession de gags plus ou moins réussis. L’émotion était pourtant bel et bien de la partie dans l’œuvre de Goscinny, au moins par petites touches. Et elle s’avère particulièrement présente dans de ce 25e – déjà ! – épisode de la série, paru en 1965. Le personnage de Powell, touchant voire pathétique dans son obstination à trouver de l’or au fond de sa mine, y est pour beaucoup. La scène où il essuie une énième désillusion après avoir fait analyser ses échantillons est poignante, tout comme celle où on le voit renouer avec ses sensations d’antan, à l’époque où la « ville fantôme » regorgeait encore de vie... Difficile de ne pas s’attacher à ce personnage bougon et buté, mais néanmoins pétri de principes, et au bon fond indéniable. Sa relation tout en respect et en retenue avec Lucky Luke, qui partage d’ailleurs plus d’un point commun avec lui, est intelligemment rendue. J’ai notamment apprécié que Powell lui sauve la vie (événement assez rare pour être souligné), et que Luke défende par la suite ce dernier lorsqu’un client « ricane » à son sujet. J’aime ces rares moments où le cow-boy hausse le ton.

     L’humour répond lui aussi à l’appel. En témoigne le duo Denver-Colorado, les deux méchants de l’histoire qui cherchent par tous les moyens à voler la mine de Powell pour la revendre « à prix d’or ». Un tandem qui ressemble à une reprise inversée de Joe et Averell : le grand, Denver, est le cerveau, quand le petit, Colorado, se montre bien plus maladroit, à la traîne. Ce dernier, boulet intégral, flanque toujours tout par terre, si bien que son pauvre chapeau, qui subit les humeurs de Denver, déguste tout au long de l’histoire ! Les deux compères forment ainsi un duo détonant, dont les combines minables deviennent très vite savoureuses à souhait. Le tandem offre en outre quelques répliques bien senties, qu’elles viennent de Denver (« Nous chasserons ce vieux Powell de sa mine, dussiez-vous y laisser votre peau ! ») ou de Colorado (« Denver, notre métier est de tricher au jeu… Ne nous écartons pas de la voie que nos pères nous ont tracée ! »). Ajoutons à cela l’incontournable bêtise sans nom de la population, l’ambiance singulière de la ville fantôme ainsi qu’une fin emplie de morale – bien que de mon point de vue un brin frustrante – et le tout donne un épisode grandement appréciable, dans lequel on se replonge avec un plaisir intact. C’est d’ailleurs à cela que l’on reconnaît la patte Goscinny.

« Étranger, si tu ne te conduis pas bien, nous t’expédierons dans un endroit pavé de bonnes intentions… »

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16 janvier 2018

La main froide (Serge Brussolo, 1995)

 

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   « Pour pirater la surveillance électronique de la banque où travaille son mari Adam Smart, Dorana a besoin de deux choses : sa voix et sa main. Cela peut s'arranger, surtout lorsque, à la clef, il y a quelques millions de dollars... Mais elle doit, ainsi que ses complices, affronter le compagnon favori d'Adam Smart : Dust, le chien policier recueilli par le banquier. Une bête d'une intelligence redoutable, dressée à flairer et à tuer, réformée pour agressivité pathologique, “une saloperie vivante”, avaient averti les flics. Et c'est dans un véritable cauchemar que l'auteur du Chien de minuit, Prix du roman d'aventures 1994, précipite ses personnages. Un suspense d'autant plus angoissant que la férocité de l'animal ne fait, après tout, que refléter celle des hommes... »

     Mon premier contact avec Brussolo. Et quel contact ! On entre dès les premières pages dans l’histoire, grâce au style hypnotique de l’auteur qui, comme à son habitude, se révèle particulièrement inspiré pour planter le décor, installer l’intrigue et les personnages. On fait notamment connaissance avec Dan, imitateur de génie qui faisait un tabac dans des shows à Las Vegas, avant de se voir contraint à une retraite forcée à la suite de l'imitation d’un sénateur qui n’a pas plu à l’intéressé. Rien que la façon dont Brussolo décrit le talent de Dan en matière d’imitation, et le rapport qu’il avait avec son public (lorsqu’il le « tenait »), vaut son pesant d’or. Mais sa manière de peindre les autres protagonistes (dont je vais parler plus loin) est tout aussi efficace. Un sommet de narration, vous dis-je !

     Mais contrairement à beaucoup de parutions de cet écrivain, le roman ne connaît pas de subite perte de vitesse après cette percutante entrée en matière. Au contraire, on se régale plus encore, grâce au rythme effréné de la lecture : on va de rebondissements en rebondissements, jusqu’à un ultime coup de théâtre dont je ne vous dis que ça… À vrai dire, je crois que je n’ai jamais vu autant de retournements de situation dans un autre livre. Quel suspense ! Les protagonistes sont également pour beaucoup dans l’efficacité du texte. Comme à l’accoutumée, Brussolo peint des personnages en marge de la société, en proie à leurs fantasmes et à leurs obsessions. Les plus gratinés sont Monk, une sorte de « Hulk » attardé qui rêve de devenir ninja pour pouvoir se dématérialiser (!), et Adam, banquier misanthrope qui n’a d’yeux que pour son chien. Les autres, Doc, ancien horloger qui s’est improvisé médecin pendant la guerre du Viêt-Nam, Dorana, l’instigatrice du casse, et Dan, le génial imitateur, sont un peu plus « normaux », mais non moins attachants. Les passages où ce dernier s’entraîne à imiter la voix du banquier en vue d’ouvrir la salle des coffres sont d’ailleurs particulièrement savoureux. Et puis (et surtout) il y a Dust, ce chien terriblement dangereux à l’intelligence quasi humaine (voire surhumaine), qui nous offre des scènes passionnantes, entre l’intrigante complicité qu’il entretient avec son maître et plus encore la course-poursuite haletante autour de la frontière du Mexique. La cerise sur le gâteau, ce chien !

    J’ai également apprécié dans La main froide ce drôle de mélange d’excès et de (relative) cohérence. Tout est à la fois absurde et excessif (qu’il s’agisse des personnages ou des situations), tout en étant relativement cohérent et vraisemblable, tant l’auteur a réfléchi à tous les détails du scénario, et décrypte de façon pertinente la psychologie des personnages, notamment la méfiance et la paranoïa qui s’installent progressivement à la suite du cambriolage. En outre, le style est remarquable de fluidité, de simplicité et d’efficacité, les dialogues sont percutants (j’adore la manière si particulière dont Brussolo fait s’exprimer ses personnages), et le zeste d’humour noir que l’on trouve tout au long du texte est lui aussi savoureux : autant dire que l’ensemble se dévore avec la plus grande délectation. Pour fignoler, je reprocherais peut-être une petite baisse de régime vers la fin, mais comme vous l’aurez compris, ce n’est qu’un très léger bémol sans aucune incidence, tant l’ensemble s'avère captivant. Voilà donc un roman dénué de fioritures, de descriptions inutiles et de vulgarité, qui révèle l’immense potentiel de l’écrivain (notamment en termes de narration, d’inventivité et d’imagination), fourmille d’idées et appartient au cercle très fermé des livres qui peuvent être lus par des personnes n’appréciant pas la lecture. Il est d’ailleurs assez hallucinant qu’une telle merveille n’apparaisse jamais dans les catalogues et sélections des meilleurs thrillers, et ne soit pas considérée comme une référence (absolue !) en la matière.

     « Les gosses, avait grogné Adam un soir qu’il avait un peu bu, c’est trop long à dresser, et ça n’obéit pas. C’est menteur, paresseux… et ça vit toujours plus longtemps que nous, tu as remarqué ? Ce qu’il y a de bien avec les chiens, c’est qu’ils ne vivent qu’une dizaine d’années en moyenne. On finit toujours par les enterrer, ça nous donne l’impression d’être éternels. Quelque part, c’est réconfortant. Au contraire, dès qu’un homme regarde son fils, il pense tout de suite : “Voilà donc la gueule du petit salopard qui me portera en terre !”, je trouve ça déprimant. Je n’ai pas envie de donner naissance à mon propre croque-mort. »

16 janvier 2018

Poison (Ed McBain, 1987/1989)

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   « Je suis innocent. » Cette phrase, combien de fois les inspecteurs Willis et Carella, du 87e district, l’ont-ils entendue ? Une phrase d’autant plus troublante lorsqu’elle est prononcée par une jeune femme appétissante : Marilyn Hollis, dont les amants disparaissent un à un dans des circonstances bizarres. […] L’enquête s’annonce gratinée, et Willis ne facilitera pas la tâche en s’éprenant de la belle Marilyn… « Ne tombez jamais amoureux d’un suspect. » Willis va-t-il regretter d’avoir enfreint cette règle d’or ?

     Ah ! Poison ! Le roman qui m’a fait découvrir la mémorable saga du 87e district, écrite par Ed McBain des années 50 aux années 2000, et composée de pas moins de 57 épisodes. On peut dire que j’ai eu la main heureuse en commençant par ce titre, car il s’agit tout simplement, à ma connaissance, du plus abouti ! Bien sûr, mon jugement est peut-être quelque peu erroné par la dimension sentimentale, due au fait qu’il s’agisse de ma première rencontre avec cette magistrale saga, mais tout de même, quelle démonstration ! Poison témoigne en effet des nombreuses qualités récurrentes de la série : on y trouve une exceptionnelle qualité de dialogues, de saisissantes descriptions des quartiers d’Isola (transposition à peine voilée de Manhattan) et du quotidien du commissariat, mais aussi un style efficace, de l’humour et des personnages très attachants. Et pourtant, en parallèle, le roman se révèle un peu atypique, et diffère par certains côtés de la plupart des épisodes de la série. Ces derniers sont en effet souvent composés de plusieurs intrigues qui s’entrecroisent, ce qui n’est pas le cas de Poison, qui n’en comporte qu’une seule. De la même façon, l’enquête est centrée sur Hal Willis, qui d’habitude est un personnage de second rang.

    Et surtout, cet épisode se distingue des autres par l’extrême qualité de son intrigue. L’intérêt des épisodes de la série repose souvent moins sur l’enquête elle-même que sur les très savoureux petits à-côtés que je viens de mentionner (dialogues, personnages, humour…), bref tout l’univers du 87e district. Poison fait donc ici office d’exception : passionnant au plus haut point, il ne laisse pas une seconde de répit, grâce à son rythme endiablé, ponctué de fausses pistes et rebondissements qui bluffent et réjouissent au plus haut point le lecteur. Le roman doit également son succès au personnage de Marilyn Hollis : on pense notamment aux captivants flashbacks revenant sur son passé trouble (comportant des scènes très dures), mais aussi à la dextérité de l’auteur à semer le trouble dans l’esprit du lecteur à son sujet. Pour résumer cette lecture inoubliable, je me permets de reprendre les mots choisis par l’éditeur (Presses Pocket) en quatrième de couverture : « Un suspense à couper le souffle, une enquête menée de main de maître : Ed McBain au summum de sa forme ». Pour une fois, ce n’est pas de la publicité mensongère…

     N.B. : Quelle tristesse qu’un roman d’une telle qualité ne soit plus publié en poche. Il est cependant – et heureusement – possible de le trouver dans le tome 6 de l’éditeur Omnibus, qui a eu l’excellente idée de rééditer toute la série, composée en tout de neuf volumes.

14 janvier 2018

Stoner (John Williams, 1965/2011)

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    « Né pauvre dans une ferme du Missouri en 1891, le jeune William Stoner est envoyé à l’université par son père, et au prix de quels sacrifices, pour y étudier l’agronomie. Délaissant peu à peu ses cours de traitement des sols, ce garçon solitaire découvre les auteurs, la poésie et le monde de l’esprit. Il déçoit les siens, devient professeur, se voue corps et âme à la littérature, sert ses étudiants, assiste impuissant aux ravages causés par une terrible crise économique et deux guerres mondiales, se trompe d’histoire d’amour et finit par renoncer au bonheur. Tout cela l’entame, mais rien ne le diminue : il lit. Célébration d’une âme droite enchâssée dans un corps que la vie a très tôt voûté, voilà le récit d’une vie austère en apparence, ardente en secret. »

     Stoner est un roman de la rentrée littéraire 2011, mais il est sorti aux États-Unis en 1965, il y a donc plus d'un demi-siècle. Grand mystère que ce texte, découvert et traduit par Anna Gavalda. En flânant sur la toile, je n’ai pas trouvé une seule critique négative à propos de ce roman. Pas une seule. Je serai donc le premier à émettre des réserves sur cette œuvre de John Williams, qui fait l’admiration des plus grands écrivains américains, dont Colum McCann. Je n’ai pas accroché à ce roman. Il faut dire que l’ « intrigue » est inexistante : elle consiste simplement en la narration des différentes étapes, dans la sphère privée et universitaire, d’un ordinaire, austère et malchanceux professeur d’université. La vie privée de Stoner m’a peu intéressé, en particulier ses histoires d’amour. Sa première idylle – Edith, un iceberg doublé d’une perverse manipulatrice – m’a mis mal à l’aise. La seconde, plus classique, ne m’a jamais ému. Concernant la vie universitaire, on trouve bien quelques passages plus intéressants, comme l’amitié de Stoner avec Masters et Finch, lorsqu’il n’est pas encore professeur, et le conflit ouvert avec son collègue Lomax, en particulier « l’affaire Walker », qui offre les seules pages réellement passionnantes de ce texte. Pour le reste, je me suis assez ennuyé. Si l’histoire est trop banale à mon goût, le style, malgré sa limpidité, m’a en outre paru « clinique » : je n’ai pas ressenti d’émotion particulière à la lecture de cette œuvre, qui m’a paru aussi froide et austère que son personnage principal. De plus, les différentes chroniques que j’ai pu lire mettaient l’accent sur l’importance conséquente de la lecture dans la vie du personnage. J’ai été pour ma part déçu du peu de place qu’elle prend. Le roman n’y fait en effet que rarement allusion : on ne sait pas réellement ce qu’apporte la lecture à Stoner, et sa découverte des livres, en début de roman, se révèle beaucoup trop rapide. Très déçu. Il y a peut-être dans ce roman beaucoup de subtilité et de réflexions pertinentes, mais si tel est le cas, je suis totalement passé à côté. Quoi qu’il en soit, la fascination que les blogueurs (et plus généralement les internautes) vouent à cette lecture me perturbe assez : si je peux aisément comprendre que l’on puisse apprécier cette lecture – car il en faut pour tous les goûts –, j’ai plus de mal à me faire à l’idée que je sois le seul à ne pas l’avoir aimée.

14 janvier 2018

Vingt choses à savoir pour améliorer son français

Mélange détonant

Il n’est pas rare de lire « un mélange détonnant ». Avec un « n » en trop, donc. L’influence du mot « étonnant » y est peut-être pour quelque chose, moins cependant que le mot « détonnant », qui existe bel et bien mais n’a pas le même sens. Avec deux « n », « détonnant » signifie « qui n’est pas dans le même ton », mais dans le cas du mélange, c’est bien de « détonant » qu’il s’agit, qui a le sens d’ « explosif » (penser au mot détonateur).

Des pommes j’en ai mangé/des erreurs j’en ai fait

On a envie d’accorder, pas vrai ? Eh bien non, le « en » neutralise l’accord. On ne dit donc pas « des pommes j’en ai mangées » mais bien « des pommes j’en ai mangé ».

Elle s’est fait avoir

On n’accorde pas le verbe faire quand il est suivi d’un infinitif, même quand c’est une fille qui parle. Ainsi : « elle s’est fait avoir ».

La soi-disant liberté

À l’écrit et plus encore à l’écran, on accorde parfois « soi-disant ». À tort, puisque ce terme est invariable. Que le mot suivant soit féminin ou pluriel, « soi-disant » reste donc égal à lui-même. On écrira ainsi « la soi-disant maladie », et « les soi-disant experts ».

 

Depuis quelque temps

On a souvent envie de mettre « quelque » au pluriel. Mais ce mot reste en fait singulier, comme dans « quelque chose ».

Quoi qu’il en soit

En deux mots, contrairement à la formule « quoiqu’il + verbe » (équivalente à « bien qu’il + verbe »).

C’est de ça que j’ai besoin

On entend bien plus souvent cette expression mal que bien formulée. Il faut se souvenir qu’il n’y a la place que pour un seul « d » dans cette expression. On peut donc dire « c’est de cela qu’il s’agit » ou bien « c’est cela dont il s’agit » mais pas « c’est de cela dont il s’agit.

Au temps pour moi

On a envie d’écrire « autant pour moi ». Ce qui serait presque logique. Mais en réalité l’expression correcte (d’origine militaire) est bel et bien « au temps pour moi ».

La planète tout entière

Ce n’est pas forcément très intuitif, mais lorsque l’adjectif ou adverbe qui suit « tout » débute par une voyelle, « tout » reste invariable (« l’heure tout entière », « la marmite tout ébréchée »). En revanche, lorsqu’il s’agit d’une consonne, on accorde normalement : « la maison toute neuve ».

Pallier un manque

Prend deux « ll », contrairement au « palier » de l’immeuble. Mais le plus grand piège reste le « à » que l’on a tendance, à tort, à ajouter, probablement sous l’influence du verbe « parer à ».

Aiguë

Pas de tréma  sur le « u » mais sur le « e ».

Prendre à partie

La langue change, et cette expression en est la preuve. L’intuition nous invite à écrire « parti ». Ce qui n’est pas tout à fait faux car c’est comme cela qu’on l’écrivait à l’origine. Maintenant on écrit ce mot avec un « e ».

Elle n’est pas près de

On entend souvent, sur petit ou grand écran, un personnage féminin dire « je ne suis pas prête de faire ça ». Erreur, puisqu’il s’agit du mot « près » et non de « prêt ». S’il s’agissait de ce dernier, on dirait d’ailleurs « je ne suis pas prêt(e) à faire ça ». Mais il s’agit donc bien du mot « près », ce qui a une certaine logique, puisque l’on veut dire « je suis loin de faire ça ».

Achalandé

Non, « bien achalandé » n’équivaut pas à « bien approvisionné », mais désigne une forte affluence. Se souvenir que ce mot est construit à partir de « chaland », qui signifie passant.

Fatigant

Pas de « u » dans le cas le plus fréquent, c’est-à-dire celui de l’adjectif (« ce travail est fatigant »). En revanche, dans le cas, bien plus rare, du participe présent, on en met un (ex : « le travail me fatiguant, je me suis écroulé le soir même »).

Dès qu’ils se sont vus, ils se sont plu

Pourquoi un « s » dans un cas et pas dans l’autre ? Dans le premier, il s’agit d’un COD (« ils se sont vus, l’un l’autre »), donc on accorde, dans le second, il s’agit d’un COI (« ils se sont plu, l’un à l’autre »), on n’accorde pas. Dans la même logique, on n’accorde pas dans une phrase comme « les deux dynasties se sont succédé », car il s’agit là aussi d’un COI : elles se sont succédé l’une à l’autre.

Fuchsia

La palme du mot « de tous les jours » le plus mal orthographié revient à... Au fait, comment l’écrit-on ? Fuchia ? Non, il nous semble qu’un « s » se balade quelque part. Alors ? « Fushia » ? « Fuschia » ? Toujours pas ! La solution est en fait la moins intuitive : il s’agit de « fuchsia ». Bon, il ne reste maintenant plus qu’à savoir comment le prononcer.

Qu’est-ce qui s’est passé/qu’est-ce qu’il s’est passé

On lit parfois « qu’est-ce qui s’est passé », d’autres fois « qu’est-ce qu’il s’est passé ? ». On se demande alors quelle proposition est correcte ! Les deux, mon général ! Tout simplement parce qu’on peut tout aussi bien dire « quelque chose se passe » et « il se passe quelque chose ».

Appeler/interpeller

Que la langue française peut être cruelle. On a déjà du mal à écrire « appelle » et « appeler ». On apprend que le nombre de « l » est fonction de la prononciation. La prononciation « è » implique ici « ll », et la prononciation « eu » implique un seul « l »… Cette règle marche donc avec le verbe appeler… mais pas avec son « cousin », « interpeller », qui prend deux « ll » dans tous les cas...

A vélo/à moto

Combien de fois entend-on « on y va en vélo ? ». Vous êtes déjà allé dans un vélo, vous ? On doit donc dire « à vélo », puisqu’on est dessus, sur un vélo, contrairement à une voiture.

Ainsi :

Sur un vélo : à vélo

Dans une voiture : en voiture

Dans la même logique, on dit « à moto » et « à scooter ».

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14 janvier 2018

Trente mots et expressions mal compris, formulés ou orthographiés

Aller de paire

On dit « aller de pair ». Ce dernier terme, qui ne comprend pas de e, signifie « égalité de valeur ». On retrouve ce mot dans d’autres formules, comme « hors pair » ou « marcher de pair ».

Appuyer sur la gâchette

On n’appuie pas sur la gâchette (pièce invisible d’une arme à feu) mais sur la détente.

Après qu’il ait

Contrairement à « avant que + sujet », que suit un subjonctif, « après que + sujet » est suivi d’un indicatif. On dira donc « avant qu’il ait écrit son livre » mais « après qu’il a écrit son livre ».

Autrement plus doué

Il faut supprimer « plus ». Ainsi, « j’apprécie cet artiste, mais l’autre était autrement doué ». On dira également « il est autrement bon » et non « il est autrement meilleur ».

S’avérer vrai/exact/faux

Dans la mesure où le verbe « avérer » comporte le mot « vrai », cette formule fait figure soit de pléonasme (lorsque « s’avérer » est suivi de « vrai » ou d’ « exact ») soit de contresens (suivi de « faux »). On dira se révéler vrai/exact/faux

Avoir à faire à quelqu’un

On dit « avoir affaire à quelqu’un ».

Chafouin

Quand on parle d’esprit chafouin, on pense à quelqu’un de grognon, râleur ou triste. En réalité ce terme signifie « sournois ».

Décade ≠ décennie

Non, la décade n’est pas le mot savant de la décennie. Elle est en fait beaucoup plus courte puisqu’elle dure seulement dix jours. Ne pas se laisser influencer par le faux ami anglais « a decade », qui lui, correspond bien à une décennie (donc dix ans).

Demander à ce que

On ne demande pas à ce que le travail soit bien. Plus simplement, on demande que le travail soit bien fait.

De manière à ce que

On enlève là aussi le « à ce » qui vient alourdir la formule (« de manière que »).

Dénoter ≠ détonner

« Dénoter » signifie « souligner », « indiquer », et n’est pas à confondre avec « détonner » (« qui n’est pas dans le même ton »).

En puissance

On emploie parfois cette expression pour amplifier son propos, comme une sorte de synonyme de « vraiment ». Ex : « c’est un très bon jeu en puissance » pour dire « c’est un excellent jeu ». Erreur, puisque « en puissance » signifie « possible ». On dira par exemple d’un roman qui vient de sortir qu’il est un « best-seller en puissance », c’est-à-dire qu’il peut devenir un best-seller (cela relève de l’éventualité).

…et autres…

Ce qui doit suivre « et autres » n’est pas une énumération supplémentaire mais un mot englobant les termes précédents. On ne dira donc pas « j’aime Zidane, Ronaldo et autres Pelé » mais « j’aime Zidane, Ronaldo, Pelé et autres footballeurs d’exception ».

Et bien !

On écrit en fait « eh bien ! »

Etc…

Ce diminutif de la locution latine « et cætera » est suivi d’un seul point (etc.) et non de trois points de suspension. On prendra également garde de ne pas écrire « ect. »

Faire bonne chair

Même s’il s’agit de nourriture, il s’agit bien du mot « chère » et non de « chair ». On parle donc, en parlant d’un bon repas, de « faire bonne chère ».

Gageure

Il est vrai que l’on emploie assez peu ce terme à l’oral. Et pas beaucoup plus à l’écrit, d’ailleurs. Sachez en tout cas que ce mot, signifiant « défi qui semble peu réalisable », se prononce « gajure » et non « gajeure ».

Loin s’en faut

L’expression « loin s’en faut » est contestée. Il s’agit de la contraction de « tant s’en faut » et « loin de là ». Pour être plus précis, Le français correct, Guide pratique des difficultés (Grevisse), nous informe que « [loin s’en faut] est déclarée fautive par l’Académie française. Elle s’implante dans l’usage et est enregistrée sans restriction dans Le Petit Robert 2007. ». Il n’empêche : dans le doute, il est préférable de s’abstenir.

Nous avons convenu d’un rendez-vous

Dans le sens de « se mettre d’accord », convenir se conjugue comme venir : on dira donc « nous sommes convenus d’un rendez-vous ».

Pain béni

Citons Évitez de dire… Dites plutôt (de Bernard Laygues, collection Les dicos d’or de Bernard Pivot) :

« Bénir a deux participes […] :

1. béni(e) = sur qui a été appelée la protection divine (« Soyez tous bénis… »).

2. bénit(e) = qui a reçu la bénédiction rituelle d’un prêtre (« Pain bénit » et « eau bénite »).

Pécunier/ère

Vous avez des problèmes pécuniers ? Vous avez de la chance, car vos désagréments n’existent pas ! En effet, ce mot est une pure invention. Le terme exact est pécuniaire.

Possible et inimaginable

Possible et imaginable est la seule formule correcte.

Réveil-matin

Si on écrit « réveil » (l’objet comme le « moment ») en six lettres, on parle en revanche de réveille-matin.

Sans dessus dessous

Le premier mot est en fait « sens », même si le s ne se prononce pas, comme dans « sans ». On écrit ainsi : sens dessus dessous.

Se rappeler de quelque chose

On se souvient de quelque chose, mais on se rappelle quelque chose. On emploie donc ce verbe comme remémorer. La formule « je m’en rappelle » est par conséquent elle aussi à éviter.

Sous l’emprise de l’alcool

On ne peut être que sous l’emprise d’une personne. Lorsqu’il s’agit d’une chose, on emploiera sous l’empire de. On dira ainsi « sous l’emprise de son chef » mais « sous l’empire de l’alcool ».

Suite à

À cette formule incorrecte, on préférera « à la suite de », plus terne mais (malheureusement) plus académique.

Sur le grill

Un seul l, contrairement au grill de ce bon vieux Buffalo, qui est synonyme de salle de restaurant. Le gril dont il est question dans cette expression (qui signifie « impatient, nerveux ») est un ustensile destiné à faire cuire les aliments. On notera qu’il est dans l’absolu préférable de ne pas prononcer le l.

Tout ce qu’il y a de plus beau

Même règle que pour « autrement plus doué » : il faut enlever « plus ». On dira donc entre personnes bien comme il faut, voire un tantinet snobinardes : « tout ce qu’il y a de beau ».

2 à 3 personnes

Dans la mesure où il n’y a aucune possibilité entre 2 et 3 personnes, on dira 2 ou 3 personnes. En revanche, on dira 2 à 4 personnes.

12 janvier 2018

L'Instinct de mort (Jacques Mesrine, 1977)

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     Une chronique un peu différente, forcément. D’abord parce que, contrairement à de nombreux autres ouvrages chroniqués, il ne s’agit pas ici d’une fiction mais de mémoires, ceux de Jacques Mesrine, décédé il y a maintenant 36 ans sous les balles des hommes du commissaire Broussard. Ce témoignage de l’ex-ennemi public numéro un, s’il ne couvre pas toute sa vie (il s’achève approximativement au tiers du deuxième volet du diptyque signé Jean-François Richet), permet néanmoins de connaître plus en détail certaines périodes de sa vie et de mieux appréhender la complexité de sa personnalité. Bien sûr, le lecteur n’a pas d’autre choix que de le croire sur parole. Mesrine dit-il toute la vérité ? On ne le saura jamais. Reste que l’homme révèle une assez nette tendance à se donner le beau rôle, ce qui peut laisser supposer une propension non négligeable, plus ou moins consciente, à travestir la réalité. Au fil des pages, et l’air de ne pas y toucher, Mesrine écrit ainsi que sa mémoire a « toujours été exceptionnelle », qu’il est « très bon danseur », « très bon cuisinier » et, évidemment, l’amant idéal ! Mais jouons le jeu et partons du principe que tout ce qu’il dit correspond bien à ce qu’il s’est vraiment (et « objectivement »)  passé. Mesrine s’attarde donc sur sa jeunesse, en particulier son enfance vécue sous l’Occupation, mais aussi ses premières années d’âge adulte, durant la guerre d’Algérie (notons d’ailleurs que l’homme se montre relativement pudique à ce sujet et reste dans la suggestion : on se doute qu’il a dû vivre des événements bien plus terribles que ceux retranscrits ici). Le texte permet également d’en apprendre plus sur ce monstre de sang-froid doté d’une intelligence criminelle hors pair. On pense notamment à cette tentative de cambriolage en Espagne (qui ne figure pas dans le film), où le truand fait preuve d’un aplomb impressionnant en suggérant qu’il est un agent des services secrets, stratagème grâce auquel il parvient à se tirer d’une situation terriblement mal embarquée ! Un sang-froid dont il fait en outre preuve lorsqu’il se fait passer pour un inspecteur de police alors qu’il est littéralement pris la main dans le sac par les occupants de l’appartement qu’il est en train de cambrioler. On pense aussi à sa capacité à détecter (et manipuler) les indics, et bien sûr à ses innombrables plans d’évasion qui ont contribué à sa notoriété.

   Ce qui ressort en outre du texte, c’est la loyauté et le dévouement de Mesrine à l’égard des (rares) personnes qu’il estime, en particulier son complice et mentor Guido. Le respect entre eux est profond – et d’ailleurs plutôt bien retranscrit dans l’adaptation de Richet. On sent aussi, de façon plus surprenante, une vraie admiration pour certains « non-gangsters », comme l’avocat Daoust ou même le fameux commissaire Broussard. A contrario, Mesrine ne se montre pas d’une grande tendresse envers ceux qu’il considère comme des sous-hommes, comme « Ahmed la salope », le mac de la prostituée dont il était client, ou encore les « toquards » qui pullulent dans les prisons : « À la vérité, ceux-là, en dehors d’aboyer, se dégonflent comme des baudruches au moment de faire face. » Au fur et à mesure de la lecture, une dualité se fait de plus en plus prégnante dans sa psychologie : il sait ainsi se montrer chevaleresque en se mariant une première fois avec une femme dont il n’est pas amoureux simplement pour lui permettre d’améliorer ses relations avec son père, ou encore en prenant tout sur lui afin de couvrir ses acolytes quand il se fait surprendre en possession de nombreuses armes en vue d’un casse. Il est aussi capable d’honorer sa promesse en accomplissant un improbable (et suicidaire) retour aux abords de la prison dont il vient de s’évader pour tenter de libérer les détenus et mitrailler à tout-va. Il peut également se révéler poète en s’attendrissant devant le regard d’une mésange, ou encore lorsqu’il dit de Solédad, sa première « vraie » épouse : « Le contact de sa peau était à lui seul un poème né pour y conjuguer le verbe aimer. » Mais en parallèle, dans la page suivante, le même Mesrine est capable d’écrire, comme un symbole de cette dualité qui l’habite : « Si elle avait été une traînée quelconque, je la lui aurais abandonnée [à son ami] sans remords pour qu’il se soulage le bas-ventre. » Toujours au sujet de Solédad, il la bat régulièrement, est capable de lui enfoncer le canon de son revolver dans la bouche, la trompe alors que leur premier enfant vient de naître, et finit même par l’abandonner (« Je me rendais compte que si je restais à ses côtés j‘allais un jour décider de la tuer », s’explique-t-il, de façon aussi lucide que glaciale)…

     Un autre élément intéressant de ce récit est la question de la justification (ou non) de l’auteur au sujet de son choix de « carrière ». Si vous lisez certaines critiques de L’Instinct de mort, vous verrez que plusieurs lecteurs s’agacent de la tendance de Mesrine à se justifier, d’autres au contraire louent le fait qu’il ne se donne aucune excuse… Qu’en est-il vraiment ? En réalité, une nouvelle fois, l’homme se révèle un peu schizophrène. Nombreux sont ainsi les passages où Mesrine se justifie : le fait d’avoir passé son enfance durant la Seconde Guerre mondiale et d’avoir vécu plus tard la guerre d’Algérie (pendant laquelle il a « enterré dans le fond de [son] cœur tout sentiment humain ») ne l’a pas mis dans les bons rails, tout comme son licenciement économique alors que, pour une fois, il cherchait à reprendre le droit chemin. Mais aussi l’absence physique puis « mentale » de son père, ou encore cette injuste accusation de meurtre qu’il a subie au Canada alors que, une fois n’est pas coutume, il n’était pas dans le coup. Sans oublier la prison – qu’il accuse à de nombreuses reprises de rendre pires ceux qui ont le malheur d’y entrer – et par extension la société. Ainsi :

« La société est ainsi faite : elle prépare, à l’école du crime qu’est la prison, ses futurs ennemis publics de demain, au lieu d’aider les jeunes délinquants à s’en sortir. J’avais connu cela à une époque où, si la société m’avait donné ma chance, tout aurait été différent pour mon avenir. J’avais fait payer très cher à cette même société son manque de compréhension. »

« La France est le pays de la répression sous toutes ses formes. La prison n’est pas faite pour éloigner certains individus du monde actif et leur faire payer leurs fautes. La prison sous sa forme actuelle n’a qu’un but : détruire celui qui a le malheur d’en franchir les portes […] Il faut voir une prison vivre pour comprendre que la société elle aussi se commet dans les règlements de compte de la façon la plus lâche et par personnes interposées. Tout cela, je l’avais constaté depuis longtemps, ce qui m’enlevait tout remords d’avoir choisi mon genre de vie. »

« Que l’on ne demande jamais à un homme qui a été traité de cette façon d’avoir un jour le respect de la société. Ces instants-là, on ne les oublie jamais. Que l’on ne s’étonne pas que, traités en chiens, des hommes réagissent parfois en chiens. »

« On voulait faire de moi, un fauve par cet isolement. Je réagissais en fauve. »

« Rien n’était fait pour notre réinsertion dans la société. Celui qui sincèrement voulait s’amender n’en avait pas la possibilité matérielle. Le peu de travail qui était distribué permettait tout juste au détenu de se payer son paquet de cigarettes chaque jour. Les hommes étaient exploités avec la complicité bienveillante de la direction. Celui qui était entré sans argent ressortait dans les mêmes conditions et n’avait comme seule solution que de commettre un autre délit pour vivre. Psychologiquement, cette détention était destructrice ; pas d’éducateur pour ceux qui auraient voulu apprendre un métier, pas de service social et des soins médicaux quasi inexistants. La société nous encageait et faisait de notre détention beaucoup plus un règlement de comptes qu’une dette à payer avec espoir de s’en sortir un jour. »

« Au mépris de tout sentiment humanitaire, [des architectes] avaient tracé jour après jour les plans qui avaient pour but de détruire le psychisme des hommes, des plans qui donneraient au Canada, quelques années plus tard, les criminels les plus sanglants qu’il ait jamais connus. Faite pour détruire, l’USC fit de nous des fauves criminels qui, de dangereux qu’ils étaient, devinrent superlativement dangereux après un stage dans cet établissement. »

« Par deux fois, dans ma vie, j’ai voulu changer ma route et rejoindre la société et ses lois avant d’atteindre le chemin du non-retour. J’ai échoué, car l’homme qui franchit les portes d’une prison en reste marqué à vie quoi qu’il fasse sur le chemin de la réinsertion sociale. La société est vindicative… Un ex-condamné ne sera jamais quitte de sa dette, même après l’avoir payée… On lui imposera l’interdiction de séjour, on lui refusera le droit de vote, mais on lui fera payer ses impôts et on le mobilisera si une guerre se produit. On lui reconnaîtra le droit de payer et de mourir pour son pays… mais pas celui de choisir le genre de société dans laquelle il veut vivre. Châtré de ses droits civiques, il restera toujours un “taulard”. L’homme à qui on refuse le droit de décision n’est qu’une moitié d’homme. Il se soumettra ou se révoltera. »

« Cette image de la société me donnait envie de dégueuler. Qu’un individu par son témoignage positif et pourtant erroné puisse envoyer un homme en prison pour des années et pour un crime ou délit qu’il n’a pas commis a toujours provoqué chez moi une haine meurtrière. Le seul procès pour meurtre que j’avais subi l’avait été pour un meurtre que je n’avais pas commis. »

     Autant dire que Mesrine est pour le moins intarissable au sujet des méfaits du système (carcéral en particulier). Cela dit, et même si son argumentation se tient et témoigne sans nul doute de moments traumatisants de son existence, elle semble davantage se prêter à d’autres types de prisonniers qu’à son cas personnel. Car le truand, à de nombreuses reprises, donne l’impression d’avoir « le crime dans le sang ». Quitte à se contredire, il affirme d’ailleurs en fin d’ouvrage : « Peut-être que certains me trouveront des excuses ?... Je ne m’en trouve aucune. Je ne veux pas faire le procès de la société (sic) ; je me contente de faire le mien. » Du début à la fin de l’ouvrage, la fascination de Mesrine pour le monde de la pègre est palpable. En entrant dans une boîte de Pigalle alors qu’il n’a pas seize ans, il émet cette réflexion : « Dire que c’est là que vivaient les gangsters… j’étais dans le monde de mes rêves. » Quant au monde « normal », il correspondrait plutôt à celui de… ses cauchemars : « J’avais pris l’habitude de regarder autour de moi, d’observer ceux que je côtoyais dans la rue, dans le métro, au petit restaurant où je prenais mes repas de midi. Qu’avais-je vu ? Des gueules tristes, des regards fatigués, des individus usés par un travail mal payé, mais bien obligés de le faire pour survivre, ne pouvant s’offrir que le strict minimum. Des êtres condamnés à la médiocrité perpétuelle ; des êtres semblables par leur habillement et leurs problèmes financiers de fin de mois. Des êtres incapables de satisfaire leurs moindres désirs, condamnés à être des rêveurs permanents devant les vitrines de luxe et des agences de voyage […] Des êtres connaissant leur avenir car n’en ayant pas. Des robots exploités et fichés, respectueux des lois plus par peur que par honnêteté morale. Des soumis, des vaincus, des esclaves du réveille-matin. J’en faisais partie par obligation, mais je me sentais étranger à ces gens-là. »

     Et lorsque Mesrine lui annonce sa volonté de se « ranger », un confrère de la pègre prononce cette prophétie : « Tôt ou tard tu recommenceras […] car tu es de la même race que moi. Tu n’as pas ta place dans la société. Tout comme moi, tu finiras ta vie en taule, sauf si tu te fais tuer avant. » Bien vu ! De toute façon, le confrère en question ne fait que prêcher un converti. Ainsi, lorsqu’un peu plus tard, Mesrine parle de son retour manqué dans la vie normale, qui s’est soldé par un licenciement économique puis une très brève expérience dans une autre entreprise, écourtée par le poids de son passé de « taulard », il se rend à l’évidence : « Dans le fond de moi-même, j’étais un professionnel du crime. Je n’avais changé que par amour de ma femme […] or cet amour n’était plus assez fort pour me retenir […] J’avais triché avec moi-même, la réalité reprenait ses droits. » Tout est dit… De toute façon,« le tigre ne devient jamais un animal domestique », pas vrai ? Vous en voulez encore ? « Le passe-temps de certaines personnes, c’est le golf, le ski… Moi, je relaxe sur l’attaque à main armée… Je ne vis que pour le risque. »Des remords, M. Mesrine ? Pas le moindre, ou presque :« Le seul crime que je ne me suis jamais pardonné a été celui de ce petit oiseau aux reflets bleus que j’avais abattu dans notre jardin à l’âge de treize ans. Car je l’avais tué par bêtise, lui qui n’avait commis pour seule faute que de me bercer par son chant. C’est le seul remords que j’aie connu, aussi abominable que cela puisse paraître. »

     En conclusion, L’Instinct de mort est le récit riche, captivant et bien écrit (si Mesrine n’a pas été aidé, il a une bonne plume !) d’une personnalité ambiguë et fascinante, à la vie pour le moins romanesque, et dont le sens de l’honneur oscille entre zéro et plus l’infini. Dommage tout de même que le texte bascule petit à petit dans le factuel, se révélant à la longue un poil redondant, tant les histoires de braquages/cambriolages deviennent lassantes. Une très bonne lecture néanmoins, qui permet d’en savoir plus sur cet homme qui ne laisse pas indifférent.

7 janvier 2018

La Sagesse de l'Éditeur (Hubert Nyssen, 2006)

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     La Sagesse de l’Éditeur a été écrit par Hubert Nyssen, fondateur de la prestigieuse maison Actes Sud. Tout le monde connaît cette maison d’édition créée en 1978 et qui s’est, quoi que l’on puisse en penser, imposée comme l’une des plus importantes du panorama éditorial français. Il s’agit notamment de l’éditeur de l’écrivain phare Paul Auster, mais aussi de Russel Banks, Laurent Gaudé, qui a reçu en 2004 le Prix Goncourt avec Le Soleil des Scorta, et de Nancy Huston, lauréate du Fémina en 2006 avec l’excellent Lignes de faille. La maison a en outre réalisé un coup d’éclat avec la trilogie Millénium, qui a été principalement à l’origine de la mode du polar nordique de ces dernières années. Cette maison d’édition est également garante d’une certaine qualité littéraire, mais son plus grand apport se trouve finalement, du moins de mon point de vue, moins dans le « texte » lui-même que dans sa présentation, c’est-à-dire « l’objet » lui-même. Son format 10X19 est très confortable, agréable au toucher (davantage à mon sens que le plus grand format, qui m’a toujours fait penser au Guide Vert) et les couvertures proposées parfois éblouissantes. Pour vous en convaincre, consultez les versions grand format de La Porte des enfers (Laurent Gaudé), du Convoi de l'eau (Akira Yoshimura) et d'Orphelins de l'Eldorado (Milton Hatoum). De pures merveilles !

     Cela dit, cette maison d’édition, tout comme le livre que je vais chroniquer et l’auteur/éditeur qui se trouve derrière, me laisse des sentiments ambivalents. Si je suis réellement admiratif devant les objets eux-mêmes, je suis moins enthousiaste, de façon générale, devant la qualité des textes. Si l’on excepte Millénium 1, Lignes de faille, et aussi un peu Le Soleil des Scorta, je dois reconnaître que peu de romans sortis chez cet éditeur m’ont réellement marqué. L’œuvre de Paul Auster m’ennuie profondément, L’accompagnatrice de Berberova, que tout le monde semble tenir pour une merveille littéraire, ne m’enthousiasme pas beaucoup plus, et même Laurent Gaudé, que j’apprécie, semble moins un « grand » qu’un bon écrivain. Les œuvres « actessudiennes » reposent, me semble-t-il, un peu trop sur le style et trop peu sur l’histoire : il résulte de leur lecture un sentiment de distance et de froideur, voire de prétention, qui ne correspond pas franchement au type de lecteur que je suis, pour lequel l’histoire passe au premier plan. La maison Actes Sud me semble ainsi un peu surévaluée, voire « divinisée » : il n’y a qu’à voir la très enthousiaste réception de textes assez décevants comme le maladroit Ouragan ou le très creux Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants. Malgré leurs faiblesses évidentes, le texte de Gaudé n’a reçu pratiquement que des avis euphoriques dans la blogosphère, et celui d’Énard a reçu le prix Goncourt des Lycéens. Alors que bon…

    Après cette introduction, revenons à notre Sagesse de l'Éditeur. La première chose qui frappe l’esprit à la lecture de ce court texte de 100 pages est la plume de l’écrivain : Hubert Nyssen sait écrire et, même si le ton manque parfois un peu de spontanéité à mon goût, force est de reconnaître que sa façon d’écrire a quelque chose d’hypnotique. Il en va de même, soit dit en passant, de son expression orale : j’ai eu l’occasion de l’écouter au cours d’une émission à la radio, et j’avais été assez admiratif de sa dextérité verbale. Il s’agit d’un texte bien écrit, donc, où l’auteur nous fait part de son expérience d’éditeur. Il nous explique comment est née « par accident » sa maison d’édition, nous parle de ses découvertes de Berberova et Auster, tout en fustigeant l’accroissement de la dimension « business » du monde de l’édition, et en mettant l’accent (ce qui correspond à mes yeux aux pages les plus percutantes) sur l’importance de la mise en page et de l’ « objet livre », complice du lecteur. Un programme alléchant, donc. Pourtant, le texte m’a laissé à plus d’un titre sur ma faim.

     Nyssen, s’appuyant sur Erasme, met l’accent sur le fait que la sagesse de l’éditeur relève avant tout d’une sorte de folie. Idée intéressante. Je regrette toutefois un réel contraste entre la théorie et la pratique, l'auteur ne semblant pas franchement déborder de fantaisie.  Nyssen est manifestement quelqu’un qui se prend très au sérieux, et qui semble avoir une conception un peu trop austère de la littérature. Cela se ressentait déjà au cours de la fameuse émission radiophonique, et cela se confirme à la lecture de ce texte. L’auteur cite Dostoïevski, Giono, Albert Cohen : bref, que des « sérieux ». J’aurais souhaité, ne serait-ce qu’une fois, que notre éditeur « avoue » se plonger de temps à autre dans des lectures moins « comme il faut » comme Harry Potter, Brussolo ou Stephen King. Nyssen semble vouer un culte à l’intellect, au point de donner l’impression de perdre de vue que la lecture est avant tout une distraction. Autre déception de ce texte : l’auteur n’échappe pas au piège de l’autoglorification. En caricaturant à peine, il nous conte comment, avec quels courage et audace, il est devenu le fondateur inspiré de l’extraordinaire maison d’édition que tout le monde admire.

     Ainsi : « Je multipliais les défis : créer sans fonds propres une nouvelle maison littéraire quand il y en avait déjà tant, l’installer sur la rive gauche du Rhône quand la décentralisation n’était encore qu’un mot, et ouvrir le catalogue à la littérature étrangère dans un temps où la littérature française était dominée par l’apostolique et si parisienne religion du “nouveau roman. Plus azimuté tu meurs, me répétèrent quelques sages. » J’ai beau chercher, je ne vois pas ce qu’il y a d’héroïque à publier de la littérature étrangère…

     Autre chose qui m’a agacé au cours de la lecture : sa façon de parler de la dimension « business » du monde de l’édition, sous-entendant que cela n’arrive qu’aux autres. Pourtant, sa maison n’a-t-elle pas attendu quatre longues années avant de publier le premier volume de Millénium en poche car il rapportait plus en grand format ? Cette conception manichéenne du « moi et les autres » a quelque chose d’exaspérant. Enfin, le dernier point qui m’a déçu est la sensation de vide qui ressort de cette lecture. Le texte, comme je l’ai déjà dit, est court et, pour ne rien arranger, d’une faible densité : on y trouve bien quelques bonnes idées et pensées intéressantes ici et là, mais j’ai trouvé que, malgré l’expérience et la prestance du bonhomme, il n’y a finalement pas grand-chose à se mettre sous la dent. Bref, La Sagesse de l’Éditeur, intéressant par à-coups mais loin d’être inoubliable, fait partie de ces livres dont la forme l’emporte sur le fond. Comme les romans que son auteur publie, finalement.

7 janvier 2018

Tintin au Tibet (Hergé, 1959)

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     Tintin au Tibet. Une référence ! L’un des meilleurs épisodes de la série, sinon le meilleur. On y trouve de tout, à commencer par une bonne louche d’étrange, qui rend cette aventure si singulière. D’abord, la cause du périple : Tintin se base sur un simple rêve pour partir à la recherche de son ami Tchang. Mais sapristi, quelle mouche a piqué notre reporter ? Lui qui d’habitude se montre si rationnel, le voilà qui risque sa vie sur la foi de sa seule intuition ! Toujours à propos de ce rêve, il y a cette grande case où Tintin se réveille en hurlant « Tchang ! », semant une pagaille monstre autour de lui, à l’exception notable de l’imperturbable Tournesol. Sans doute s’agit-il d’un double clin d’œil à la surdité et au caractère décalé du professeur, mais il reste que cette scène m’a toujours un peu intrigué. Tout aussi étranges enfin, les visions et la lévitation du moine Foudre Bénie… L’angoisse et le drame ne sont pas en reste, qu’ils viennent se nicher dans la découverte d’un nounours amputé (quelle puissance d’évocation !), dans la rudesse progressive des conditions climatiques, ou encore dans un autre rêve, celui du capitaine, auquel le professeur Tournesol assène sur un échiquier géant un coup de parapluie agrémenté d’un énigmatique « Échec et mat ! ». Et aussi, évidemment, dans la proximité inquiétante du yéti. Des hurlements au loin, des traces de pas, la disparition d’une bouteille de whisky, une silhouette… Hergé parvient à merveille à faire monter la tension, jusqu’à l’apparition du « migou », qui s’avère finalement bien plus humain que ne le laisse suggérer son épouvantable réputation. Tchang, à la fin de l’épisode, inverse même quasiment les rôles en affirmant : « Je souhaite qu’on ne le trouve jamais, car on le traiterait comme une bête sauvage. » Qui est le plus abominable, finalement, entre l’homme et la bête ? La dimension spirituelle occupe donc une place non négligeable. Tintin au Tibet se révèle même un véritable hymne aux valeurs fondamentales que sont l’amitié, la tolérance, la ténacité, le courage et l’altruisme. Rien que ça !

     Mais cette aventure ne serait pas aussi percutante sans l’un de ses ingrédients les plus savoureux : l’humour, personnifié par le capitaine Haddock qui, plus râleur et maladroit que jamais, apporte à l’histoire une légèreté bienvenue. Du rodéo inopportun sur une vache sacrée de New Delhi au malencontreux coup de trompette final en passant, entre autres, par l’intempestif épisode du « chausse-pieds », le capitaine offre ici un véritable récital ! Mais le vieux loup de mer propose également quelques moments de bravoure, comme cette scène épique où il tente, en vain, de couper la corde à laquelle il est suspendu pour sauver la vie de Tintin. Un passage mémorable. Graphiquement, Hergé atteint là aussi des sommets : le dessin est à la fois riche et sobre, trouvant peut-être son point culminant dans la représentation de l’épave de l’avion, saisissante de réalisme et de beauté. Plus généralement, on notera que la présence croissante du blanc au fil de l’épisode n’est pas anodine, cette couleur symbolisant les… rêves (décidément !) d’Hergé à cette époque. C’est donc pour exorciser ses angoisses que l’auteur a composé cette magnifique histoire. Bien lui en a pris ! Pour conclure un épisode aussi abouti et singulier, il fallait bien une fin à l’avenant. Mission accomplie : la dernière case, qui voit le yéti suivre du regard le départ de nos héros, et notamment de Tchang, suscite une amertume et une mélancolie qui évitent à l’histoire de sombrer dans un convenu « tout est bien qui finit bien » : le pauvre Homme-des-Neiges se voit de nouveau contraint de retrouver son existence solitaire et incomprise. Le bonheur des uns fait le malheur des autres...

6 janvier 2018

Le monde perdu de Joey Madden (David Payne, 1993/1995)

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   « En 1954, dans une petite ville de Caroline du Nord. Jolie jeune fille de dix-sept ans, May Tilley vient d'une famille de producteurs de tabac, prospère et aimante. Star du lycée, Jimmy Madden est quant à lui promis à un bel avenir de médecin, ou d'écrivain, peut-être. Ils s'aiment d'un amour fou, ils ont la vie devant eux... Jusqu'au jour où May découvre qu'elle est enceinte.

     Le mariage, accepté à contrecœur par Jimmy, marque la fin de ses rêves d'adolescent et le début d'une lente déchéance. Le quotidien entame peu à peu les illusions du couple, sous les yeux de leur fils aîné, Joey, soudain privé de ses repères et d'un modèle paternel dont il a tant besoin.

     May, Jimmy, Joey... trois voix pour raconter l'échec d'un amour, la fragilité du bonheur, la pesanteur et la force des liens familiaux et le difficile passage de l'enfance à l'âge adulte. Tout imprégné de l'atmosphère nostalgique des années cinquante et de la touffeur du vieux Sud, Le Monde perdu de Joey Madden est de ces romans qui touchent au cœur. »

     David Payne est décidément un écrivain pétri de talent. Je l’ai découvert récemment avec Confessions d’un taoïste à Wall Street. Le monde perdu de Joey Madden est tout aussi réussi, sinon plus. Il se montre de prime abord moins ambitieux, du moins plus intimiste, que les Confessions : pas de taoïsme ni de Bourse ici, le roman se « contente » de traiter, à travers trois voix, de la manière dont l’arrivée d’un enfant peut bouleverser – en mal – la vie d’un couple. Véritable point de non-retour, la naissance du petit Joey rend manifestes les tensions jusqu’ici latentes entre ses parents. Plus généralement, c’est l’histoire d'une famille entière qui est disséquée, dont tous les membres sont habilement campés. Je dois cependant avouer m’être quelque peu égaré avec les grands-parents : aussi, si vous avez l’excellente idée de vous plonger dans ce roman, je vous propose un petit pense-bête qui vous permettra de vous y retrouver. C’est cadeau ! Récapitulons donc :

Lilith = Grody = femme de Thurston = mère de Jimmy.

Zelle = Nanny = femme de Will = mère de May.

     Ce roman m’a ébloui, car il m’a captivé sans qu’il y ait de réel rebondissement. Le style est à l’avenant : simple, épuré, sans esbroufe mais incroyablement efficace. On appelle cela le talent. Je rejoins le commentaire d’Éric Neuhoff, de Madame Figaro : « On le ferme, on le reprend, on y repense sans arrêt. » Tout est dit ! Il faut dire que le sens du (bon) détail est particulièrement aiguisé chez David Payne. Parfois trop, ce qui occasionne quelques légères longueurs, mais à l’arrivée, comment s’en plaindre ? Cela permet avant tout une réelle immersion dans la vie de cette famille complexe et attachante. Un roman passionnant et immersif, donc, mais aussi admirablement intelligent – j’avais déjà eu ce ressenti à la lecture des Confessions d’un taoïste. L’auteur évoque avec une égale justesse des sujets aussi variés que la fragilité de l’amour, le talent gâché (Jimmy était un as du basket), le rapport rêve-réalité ou encore l’alcoolisme. Entre autres ! J’ai en outre trouvé particulièrement bien rendue la tension entre les deux familles, avec notamment Lilith, personnage vénéneux s’il en est, adepte des formules du type « je ne suis pas du genre à dire des méchancetés, mais… » agrémentées de phrases délicieusement assassines. J’ai également apprécié les moments pleins de tendresse entre Joey et son grand-père Will, ainsi que la complexité de Jimmy, ce personnage irresponsable complètement à la dérive, pour lequel on ne peut s’empêcher de conserver un certain attachement.

     Quant à Joey, comment ne pas s’attendrir sur sa situation, lui qui se voit contraint de grandir dans des conditions aussi « familialement » chaotiques. Le récit à trois voix est par ailleurs très réussi : il permet une incursion dans l’esprit de chacun des personnages (Joey et ses deux parents), et trouble quelque peu le lecteur en lui offrant des points de vue différents : celui-ci a l’impression d’avoir à choisir parmi plusieurs réalités différentes, tout aussi « vraies » les unes que les autres. Vraiment bien ficelé. L’un des seuls bémols que j’émettrais (mais qui n’en est en fait pas un) repose sur le fait que j’ai eu du mal à discerner « l'atmosphère nostalgique des années cinquante et la touffeur du vieux Sud » vantées par l’éditeur, dans la mesure où l’écrivain, comme dans le précédent roman, s’intéresse davantage à ses personnages qu’au contexte, géographique ou historique, dans lequel ils évoluent. Mon autre petite réserve concerne la structure un peu foutraque du récit, passant régulièrement d’une époque à une autre sans crier gare, un procédé qui peut parfois nuire à la fluidité de la lecture. Mais ceci n’est que détail. Je vous conseille donc vivement ce roman qui peut paraître un peu « ordinaire » au niveau du pitch, mais se révèle diablement intelligent et captivant, grâce au talent impressionnant de l’auteur. Une grande réussite.

6 janvier 2018

Furie divine (J.R. Dos Santos, 2009/2016)

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      Très bon roman. Et pas seulement pour sa dimension thriller. Il faut dire qu’un livre qui traite du terrorisme islamique n’est pas tout à fait comme les autres, a fortiori en ces temps pour le moins troublés. Cette œuvre, sortie au Portugal en 2009, n’est pourtant pas à proprement parler récente. Mais les éditions HC ont eu la bonne (et lucrative ?) idée de la publier en France en 2016, à la suite des attentats de janvier 2015. Ce thriller de José Rodrigues Dos Santos (ou dos Santos, la version Pocket ne tranche pas sur l’orthographe exacte) a donc été écrit il y a huit ans. Une date toute proche dans l’absolu… et pourtant si lointaine. Comme le souligne la note introductive, on parle d’une époque où Ben Laden vivait encore, et où Daech était inconnu du grand public… En ceci, Furie divine peut paraître un peu daté. Pourtant, il demeure on ne peut plus d’actualité car, même si certaines données ont changé depuis, les enjeux et problématiques restent globalement les mêmes. Ce thriller dérangeant voire anxiogène, où l’on apprend « accessoirement » que se procurer les matériaux nécessaires pour constituer une arme nucléaire est beaucoup moins compliqué qu’il n’y paraît, m’a particulièrement captivé par son analyse du Coran, sans concession et abondamment documentée. L’une des idées-clés du roman repose sur le fait que contrairement à ce qu’on entend ici et là, les fondamentalistes n’ont pas une interprétation erronée du Coran : ils ne font au contraire que l’appliquer à la lettre. Plus généralement, l’islam est présenté comme une religion belliqueuse : autant dire que c’est une vision tout sauf politiquement correct que propose le récit. On pourrait même presque lui reprocher de n’aborder quasiment que l’aspect radical de cette religion, mais à partir du moment où il s’agit de l’objet principal du texte...

     Quoi qu’il en soit, l’auteur maîtrise à l’évidence son sujet – à noter que le texte a été relu par un ancien membre d’Al-Qaïda – et fait preuve d’un réel sens pédagogique, quoique pas toujours dénué de gros sabots : on sent bien que les deux personnages principaux jouent tour à tour le rôle du lecteur novice et naïf. On a ainsi du mal à croire que Rebecca, agent de la CIA, ne connaisse quasiment rien de l’islam. Et on peut en outre s’étonner que Tomás soutienne mordicus qu’il ne peut y avoir de terroristes parmi les Portugais, car ce sont de « braves gens » « qui occupent des fonctions importantes », pour affirmer cent pages plus loin : « Quelles raisons socio-économiques ? Quelle pauvreté ? Quelle ignorance ? […] Vous ne savez donc pas qu’une grande partie des hommes qui commettent ces attentats ont fait des études supérieures ? ». Il faudrait savoir ! Mais cela relève du détail, qui s’avère d’ailleurs plus amusant qu’autre chose. L’auteur dévoile également quelques clés permettant de mieux comprendre le processus de radicalisation, en revenant par exemple sur les rapports Occident/Orient et sur l’histoire de l’islam. Pour revenir à l’aspect thriller, il est plutôt (très) abouti. Le texte comporte certes quelques redondances, mais cela reste fort acceptable : les 650 pages se lisent dans l’ensemble avec avidité. Au-delà des petites longueurs, on trouve par ailleurs quelques imperfections (le tandem devine on ne sait trop comment dans quel pays va être commis l’attentat, et la mémoire de Tomás lui fait à un moment donné cruellement défaut, probablement pour faire durer l’intrigue…), mais là encore je chipote un peu. Car la structure, reposant sur deux intrigues parallèles qui finissent par se rejoindre, est certes classique mais néanmoins très maîtrisée. Il arrive fréquemment que l’une des deux histoires s’avère en deçà, mais ce n’est pas le cas ici, d’où une impression d’ensemble homogène et dynamique, qui permet en outre à l’auteur d’éviter de tomber dans la surenchère de rebondissements. Bref, j’ai été plus que convaincu par ce roman qui captive, qui instruit et qui fait aussi un peu froid dans le dos...

     « Grâce à Internet, tout croyant pourra se joindre à nous et lancer des actions n’importe où dans le monde. »

6 janvier 2018

Alex Woods face à l'univers (Gavin Extence, 2013/2015)

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   « Quand vous avez 17 ans, qu’une météorite vous est déjà tombée sur la tête et que votre mère est voyante, vous savez que la vie est bizarre et que tout peut arriver. Mais ce qu’Alex ignore, c’est que son improbable amitié avec M. Peterson, un vétéran acariâtre, l’entraînera dans une aventure improbable, incluant 113 grammes de marijuana, une urne funéraire et une tempête médiatique…

      De l’astrophysique à Kurt Vonnegut, aussi hilarant que poignant, ce roman d’initiation éclaire le sens de la vie : une formidable leçon de choses et une inoubliable leçon d’humanité. »

     Belle déception. Pourtant le titre était plus que prometteur (pour ne pas dire excellent), tout comme la quatrième de couverture. Pour cette dernière, je ne parle pas forcément des termes dithyrambiques qui y sont employés (je ne suis pas naïf à ce point) mais plutôt de son contenu. Je pensais avoir entre les mains un de ces romans un brin farfelus empreints de bonne humeur. J’ai déchanté sur ce point. Désolé de devoir spoiler, mais je me dois de rétablir un minimum la vérité : ce texte se révèle en effet beaucoup plus sombre qu’il n’y paraît, puisqu’il y est question d’accompagnement au suicide. Alors certes, je veux bien que l’on y trouve un message engagé sur le sens de l’existence, mais cela reste quand même assez pesant… Plus généralement, je ne suis jamais entré dans cette histoire. Si le style est relativement limpide, il manque cruellement d’âme et de saveur. Pour ne rien arranger, l’intrigue met beaucoup de temps à se mettre en place. Au cours des cent premières pages, on entre dans le quotidien d’Alex, en découvrant notamment sa relation avec sa mère un peu perchée et ses difficultés à se mêler à ses congénères lycéens. Une entrée en matière plutôt longuette, d’autant que le fait de mettre en scène un intello souffre-douleur commence à devenir un poil téléphoné... On peut également se demander l’intérêt de la chute de la météorite sur le narrateur survenue quelques années auparavant. Cela prend beaucoup de pages et on ne comprend pas à l'arrivée ce que ce détail apporte vraiment au récit. Même constat pour ses crises d’épilepsie…

     Arrive ensuite (et enfin…) M. Peterson, qui va entre autres faire découvrir au héros le romancier Kurt Vonnegut. Une rencontre qui occasionne quelques passages intéressants sur cet écrivain, ainsi que quelques bons moments de complicité, mais je n’ai dans l’ensemble pas été vraiment embarqué dans cette amitié. Survient (bien) plus tard la maladie dégénérescente de M. Peterson, contre laquelle celui-ci décide de ne pas se battre, considérant que s’accrocher à la vie coûte que coûte, en se sachant condamné, n’a pas le moindre sens. Il décide alors, avec le soutien d’Alex, d’aller en finir en Suisse, l’un des seuls pays où l’euthanasie est autorisée… Même cette situation ne m’a pas à proprement parler bouleversé. Elle propose certes son lot de beaux passages, mais rien d’inoubliable à mon sens, à l’image donc du reste du récit, auquel je n’ai décidément pas adhéré. La faute encore une fois au style sans éclat de Gavin Extence, mais aussi à sa propension à faire du remplissage (j’ai vraiment eu l’impression qu’il était payé à la ligne...), et enfin à son personnage principal vu et revu, mélange assez fade de Marty McFly (pour son amitié avec un vieil original), de George McFly (pour son côté victime marginalisée) et d’Harry Potter (pour sa cicatrice et sa célébrité plus subie que souhaitée, dues à la chute de la fameuse météorite lorsqu’il était plus jeune). Pour terminer sur une note positive, j’ai en revanche bien aimé le personnage d’Ellie, pour sa franchise déconcertante et ses répliques cinglantes. Mais dans l’ensemble, je me suis surtout ennuyé à la lecture de ce roman – très apprécié de la plupart des blogueurs, précisons-le. À vous de voir…

31 décembre 2017

Les Grands Philosophes de la Grèce antique (Luciano de Crescenzo, 1983/1999)

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     Un remarquable ouvrage que ces Grands Philosophes de la Grèce antique. C’est pourtant sans enthousiasme particulier que j’ai acheté ce livre et même, pour être tout à fait honnête, totalement par hasard – l’auteur, italien, est inconnu de ce côté des Alpes. C’était il y a une quinzaine d'années, et depuis, l’ouvrage ne me quitte plus : chaque relecture est un réel enchantement. Le secret du livre, c’est que l’auteur, Luciano de Crescenzo, ne se prend pas au sérieux. Dans le monde austère et confiné de la philosophie, c’est purement et simplement un exploit ! Il ne s’agit pas de descendre les vulgarisateurs qui font un tabac en France (Comte-Sponville, Onfray…), mais on peut tout de même leur reprocher de s’adresser à leur lecteur comme à un élève. « LDC », en revanche, lui parle comme à un ami. Énorme différence. Dès la préface, le Napolitain annonce la couleur : « J’ai toujours rencontré de sérieuses difficultés à déchiffrer le baragouin de ces professeurs. Parfois, il me vient le soupçon que ces auteurs ont davantage écrit pour leurs collèges que pour les étudiants en philosophie ». Plus loin, l’auteur évoque le sérieux d’Anaxagore, un philosophe présocratique : « À bien y réfléchir, cette aversion pour le rire est également un symptôme très répandu de nos jours. Essayez d’observer l’attitude des intellectuels quand ils sont interviewés à la télévision : vous remarquerez tout de suite combien leur regard est toujours pénétré d’austérité. Dieu seul sait quels obscurs mécanismes calvinistes, faits de complexes de culpabilité et de désir d’expiation, les rendent aussi allergiques au comique. » Le ton est donné.

     Les Grands Philosophes… a trois qualités principales. Agréable, grâce à la plume fluide de l’auteur, son sens de l’humour et sa simplicité. Le livre se révèle en outre très complet pour un ouvrage de vulgarisation : il traite tout à la fois des penseurs « secondaires » (Anaxagore, Anaximandre, Empédocle) et des « poids lourds » (Socrate, Platon, Aristote), en consacrant à ces derniers une trentaine, voire une quarantaine de pages : c’est donc un panorama complet des « Anciens » que nous offre ici l’écrivain. Enfin, l’ouvrage est d’une clarté exemplaire : l’auteur fait montre d’une étonnante qualité pédagogique et multiplie les anecdotes (très nombreuses, permettant de rendre chaque penseur plus proche et humain) et les anachronismes, n’hésitant pas pour éclairer son propos à se référer à Michel Simon, Sherlock Holmes ou son autre grande passion, le football. Tout cela sans négliger, est-il besoin de le préciser, la doctrine de chaque philosophe, habilement restituée.

     Un autre aspect intéressant de l’auteur est sa prise de parti : LDC aime donner son avis sur les penseurs et fait preuve d’un franc-parler dont le lecteur se délecte fortement : 

    Sur le Parménide, dialogue platonicien : « Il en résulta la conversation la plus ennuyeuse et la plus compliquée de toute l’histoire de la philosophie. Platon nous en donne un large compte rendu dans le Parménide, et, en dépit de son habileté d’écrivain, je crois qu’il n’y a jamais eu personne pour lire du début jusqu’à la fin ce dialogue […] En général, M. Tout-le-Monde s’arrête à la page sept, là où Parménide dit : “…si tu divises la grandeur en soi, et si chacune des choses multiples qui sont grandes l’est par une partie de la grandeur plus petite que la grandeur elle-même, cela ne paraîtra-t-il pas absurde ? – Si, vraiment”, répond Socrate, et “si, vraiment”, répond également M. Tout-le-Monde, après quoi il effacera Parménide de sa mémoire. »

     Sur les syllogismes d’Aristote : « Je me permets de penser qu’il n’est pas indispensable de connaître à fond le syllogisme. Le plus souvent, il s’agit de raisonnements élémentaires que tiennent même les analphabètes, sans savoir qu’ils font un syllogisme. Aristote, lui, donne tellement d’importance à ce sujet qu’il lui consacre une imposante série d’ouvrages […] Je n’en conseille pas la lecture. »

     Sur les paradoxes de Zénon : « J’espère avoir été clair. De toute façon, si je n’y suis pas parvenu, tant pis : on peut très bien vivre sans les paradoxes de Zénon… »

     Gonflé, non ? N’allez pas pour autant en conclure que l’auteur se limite à passer en dérision les philosophes : il livre simplement un point de vue personnel, moins lisse et « prudent » que le « tout se vaut » de celui qui divinise et dit amen à chaque penseur. Ces commentaires ont le mérite de dynamiser la lecture et apportent un aspect un peu « café du commerce » au texte. Cela pourrait être un défaut, mais c’est finalement tout le contraire : comment ne pas se réjouir d’un peu de fantaisie et de spontanéité dans un univers hermétique, austère et prétentieux ? Bref, Les Grands Philosophes… est une bouffée d’oxygène : un livre jubilatoire (terme souvent galvaudé, mais ici totalement mérité), généreux et d’une certaine façon assez révolutionnaire. Après tout, Luciano de Crescenzo est le seul être au monde capable de parler de philosophie avec humour et simplicité. Oui, le seul…

31 décembre 2017

Le domaine des dieux (René Goscinny et Albert Uderzo, 1971)

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      Cet épisode d’Astérix est à mes yeux l’un des tout meilleurs de la série : de A à Z, tout y est inspiration, humour, intelligence, originalité. Du pur Goscinny ! Dans Le domaine des dieux donc, César décide de venir à bout du fameux village gaulois en bâtissant alentour une ville romaine. « Le village ne sera qu’une amphoreville, condamnée à s’adapter ou à disparaître », prédit ce vieux Jules. Et ça marche… du moins dans un premier temps. Encore une fois, je ne peux que me prosterner devant tant de maîtrise. Tout y est parfaitement rythmé et bien vu : les premières pages où l’on voit César (parlant de lui à la troisième personne) devant une maquette annonçant ce qui attend le village, les vaines tentatives romaines de déforestation, puis la « romanisation » des Gaulois, et enfin le retour à la normale grâce à l’astuce d’Astérix. Un album qui regorge de richesses et de passages mémorables. Comment ne pas penser au centurion complètement dépassé par les désopilantes grèves à répétition de ses légionnaires, à l’évolution inquiétante des Gaulois, qui se prennent contre toute attente au jeu des Romains, sans parler de l’ « impliable », faisant sur une double page la promotion du domaine des dieux. J’ai également beaucoup apprécié le fait que Panoramix, d’habitude si clairvoyant, fasse une erreur de jugement en donnant de la potion magique aux esclaves, pensant que celle-ci leur permettra de se libérer du joug romain. Or la potion sera utilisée pour accélérer la déforestation… Difficile également de rester indifférent devant Obélix jouant au « barbare instinctif » pour effrayer un Romain. La peur croissante du Romain persécuté est diablement bien réalisée (chapeau à Uderzo), trouvant son paroxysme lorsque celui-ci, allongé chez lui, entend quelqu’un frapper à la porte. Un épisode particulièrement abouti donc, et diablement riche en répliques percutantes. En voici quelques-unes :

 

Un Romain à César :

« - Il est formidable !

- Qui ça ?

- Ben… vous !

- Ah !... Lui ! »

 

Astérix à Anglaigus :

« - Vous avez tort de vous aventurer dans cette forêt, vous risquez d’y faire de mauvaises rencontres si on vous retrouve. »

 

Obélix à Astérix :

« - Les forêts sont mal entretenues : on devrait chasser les Romains.

- Nous sommes ici pour chasser les sangliers, Obélix. »

 

Le centurion à Anglaigus :

« - Tout cela va trop facilement. Ne te réjouis pas trop vite…. Gnôthi Seauton.

- Ça veut dire quoi ça ?

- Je ne sais pas ; c’est du grec. »

 

Après que Madame Agecanonix annonce qu’elle et son mari vont ouvrir une poissonnerie et un magasin d’antiquités, réaction de Cétautomatix : « - Des antiquités ? On ne distinguera pas Agecanonix de sa marchandise ! »

 

Et la meilleure pour la fin :

« - Il ne faut jamais parler sèchement à un Numide. »

31 décembre 2017

La Folle du logis (Rosa Montero, 2003/2004)

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     Voilà un livre un peu différent. C’est d’ailleurs sans doute pour cela que je l’ai tant apprécié. La Folle du logis n’est pas un roman, mais une réflexion sur l’écriture et les écrivains. L’auteure ? Rosa Montero, une écrivain espagnole dont les livres, nous précise la quatrième de couverture, « sont des best-sellers ». À vrai dire, je n’en avais jusqu’ici jamais entendu parler, mais qu’importe finalement, puisque c’est souvent dans les œuvres méconnues que l’on dégotte les meilleures surprises – puisqu’on n’en attend rien de spécial. C’est le cas ici. Première chose qui frappe à la lecture de ce court mais dense essai de 200 pages : Montero écrit drôlement bien. Un style sobre, fluide, élégant, qui rend la lecture extrêmement agréable. Et le fond est à la hauteur de la forme : le propos, réfléchi, captivant, stimulant, et riche en anecdotes sur les écrivains, est souvent d’une grande intelligence. Avec ce livre, vous en saurez plus sur la vie – et la part d’ombre – de Gabriel García Márquez, Truman Capote, Zola et consorts. J’aime également le ton que propose l’auteure, dénué de prétention, tout en étant franc et jamais consensuel. Montero propose notamment des pistes de réflexion sur le parallèle entre écriture et passion amoureuse, s’interroge sur le pouvoir et la place de l’imagination tout en jouant avec la crédulité du lecteur… Bref, j’ai savouré ce livre dont il est finalement assez difficile de parler de façon précise. Je l’ai dégusté petit à petit, me contentant de seulement quelques pages par jour. On est bien loin de ces romans que je « dévore » pour pouvoir en venir à bout au plus vite ! Une vraiment belle lecture donc, érudite et vivante, qui ne comporte qu’un ou deux temps plus faibles (notamment quand l’écrivain nous parle de sa passion pour les nains !), que je relirai avec plaisir, ne serait-ce que pour mieux en appréhender toutes les subtilités. D’ailleurs cela m’a donné envie d’en savoir plus sur les autres parutions de cette auteure prometteuse…

31 décembre 2017

Les temps parallèles (Robert Silverberg, 1969/1976)

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     « La dernière mode, c'est le tourisme temporel. Visitez la Rome des Césars, le Golgotha le jour de la crucifixion du Christ, les venelles de Constantinople lors du sac de la ville par les Croisés. Mais ne vous écartez pas du chemin qui vous a été tracé, sous peine de disparaître dans un paradoxe temporel. Voici l'un des romans les plus jubilatoires de Robert Silverberg, une des plus grandes figures de la science-fiction américaine. »

     Drôle de livre, qui pour l’anecdote a beaucoup influencé Robert Zemeckis, réalisateur de la trilogie Retour vers le futur. On retrouve d’ailleurs dans le récit la fameuse expression de Doc, « penser en quatre dimensions ». Pour en venir au vif du sujet, j’avoue qu’après coup, je ne sais pas trop quoi penser de cette lecture. En fait, mon avis est un peu mitigé, même si l’impression d’ensemble est plutôt positive, ne serait-ce que pour le fort intérêt que je porte aux histoires de voyages dans le temps. Et le moins que l’on puisse dire est que ces derniers ne manquent pas dans ce roman. On en manque tellement peu que cela finit par devenir déroutant. Pendant une grande partie du récit, le héros multiplie les promenades dans le passé. C’est intéressant, mais on réalise au bout de 250 pages (sur 317 !) que l’intrigue proprement dite n’a pas encore commencé ! Comme je m’attendais à un scénario plus classique, cela m’a empêché de profiter pleinement de ces nombreux voyages, certes anecdotiques mais néanmoins savoureux par leur manière de mettre en scène de façon ludique moult paradoxes. Autre aspect déroutant : lesdits paradoxes concernent le passé mais bien plus rarement, comme on pourrait s’y attendre, les répercussions sur le présent. Autre obstacle : le rythme. Ces nombreux trajets comportent en effet des longueurs, je pense avant tout aux nombreux passages lourdement érotiques (le roman a été écrit en 1969) ainsi qu’aux « cours d’histoire » sur Byzance, parfois trop pointus, qui risqueront de n’accrocher que les docteurs en la matière… Cela dit les descriptions de l’époque et de la ville sont plus que convaincantes, on a vraiment l’impression d’y être. J’ai également apprécié l’idée du contrôle temporel, la manière dont sont encadrés les « touristes ». Et l’intrigue principale tardive, alors ? Pas mal, elle nous familiarise avec les concepts de « non-événement » et de « non-existence » (tout un programme !), même si on regrette qu’elle ne soit pas plus développée – elle ne doit pas dépasser la soixantaine de pages. Bref, un roman assez déroutant, parfois longuet et pas toujours subtil, mais qui vaut le coup pour ses descriptions historiques, son ton léger, dépourvu de toute prétention, et plus encore la place donnée aux petits et grands paradoxes temporels.

31 décembre 2017

Harry Potter et la Chambre des Secrets (J. K. Rowling, 1998/1999)

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     Harry Potter et la Chambre des Secrets est un chef-d’œuvre. Cette aventure du célèbre sorcier de Poudlard est, avec L’Ordre du Phénix, la meilleure d’une saga qui, rappelons-le, est d’une qualité exceptionnelle. Harry est ici confronté à de nombreuses interrogations : pourquoi n’a-t-il pas pu rejoindre l’école des sorciers par le Poudlard Express ? Est-il un descendant des Serpentard ? La Chambre des Secrets existe-t-elle réellement ? Autant d’énigmes qui ne seront résolues que dans les toutes dernières pages. Cet opus est particulièrement réussi car il est à la fois moins enfantin que le premier et plus dépouillé que les suivants, parfois un peu longuets. Aucun temps mort donc, dans ce roman parfaitement construit : suspense et mystère constants, dénouement très surprenant, intrigue très élaborée, style envoûtant… Les personnages sont quant à eux plus fouillés – et nombreux – que dans L’École des Sorciers. Ajoutons à cela des ingrédients savoureux : un prof aussi narcissique qu’incompétent, des araignées géantes, une potion de métamorphose, un zeste de Quidditch, un journal intime un peu spécial, quelques révélations sur le passé de Voldemort, et le tout forme un cocktail détonant de pas plus de 350 pages. Quelle démonstration !

31 décembre 2017

Gen d'Hiroshima (Keiji Nakazawa, 1973/1983)

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    Difficile, très difficile de chroniquer une saga comme Gen d’Hiroshima. Tout d’abord, il s’agit d’un manga, ce que je ne suis pas habitué à critiquer, et surtout, cette série est composée de pas moins de 10 volumes, de plus de 250 pages chacun ! Mais cette œuvre du Japonais Keiji Nakazawa, publiée dans les années 70, qui traite des conséquences de l’explosion de la bombe nucléaire du 6 août 1945, vaut vraiment le coup d’être chroniquée, et plus encore d’être lue. Même par ceux qui, comme moi, n’ont aucune affinité avec le genre du manga. J’ai pris conscience en lisant cette série que l’on ne connaissait que très peu de choses sur cet événement majeur du siècle dernier. On sait que la bombe a rasé la ville d’Hiroshima, qu’elle a fait des centaines de milliers de morts, et c’est à peu près tout. Cette saga parvient avec brio à rendre compte de toutes les retombées que l’événement a eues, en particulier sur les survivants. Tout en prenant bien le temps de planter le décor : la quasi-totalité du premier volet est ainsi consacrée à l’avant-événement (la bombe n’apparaît que dans les dernières pages). Il y est question du quotidien pendant la guerre d’une famille, dont le père est pacifiste, ce qui vaut à tous ses membres de se trouver au centre des quolibets, puisqu’il n’est pas de bon ton à l’époque de s’insurger contre les militaires. La famille est pauvre : on prend conscience que même avant la bombe, la vie était déjà loin d’être un long fleuve tranquille pour les habitants d’Hiroshima. Sans parler, évidemment, des méfaits de la guerre. Le vrai héros de ce premier volet est le père, qui reste fidèle à ses principes en résistant contre les militaires, aime sa famille (même s’il se montre tout de même assez violent envers ses enfants), et meurt à cause de la bombe.

     Le deuxième volet, le plus dur, montre les heures qui suivent l’événement. Les victimes sont des zombies agonisants. Un épisode terrible, à déconseiller aux âmes sensibles, mais néanmoins très réussi, car il ne fait finalement que retranscrire l’horreur de la réalité. Tous les épisodes ultérieurs traitent de ce qui se déroule par la suite. Gen, le narrateur, et alter ego de l’auteur, cherche à tout prix de la nourriture pour lui-même ainsi que pour les membres de sa famille qui ont survécu, en particulier sa mère, tout en se montrant altruiste envers les inconnus, prenant notamment sous sa coupe le jeune Ryûta – sosie de son défunt frère – qui ne le quittera que dans le dernier volet. Gen se montre hyperactif : il s’occupe par exemple dans le troisième épisode d’un survivant malade dont personne (même dans sa propre famille) ne veut s’occuper. La complicité entre ces deux personnages donne d’ailleurs à ce volet des airs d’Intouchables. Gen est également, comme tous les autres survivants, confronté à l’impitoyable « chacun pour soi » qui fait suite à l’événement, à la mafia locale et autres salauds qui profitent honteusement de la situation pour exploiter les enfants orphelins. Il réalise en outre que parmi les survivants a priori en bonne santé se trouvent des personnes victimes de radiations : ces dernières n’en subiront les conséquences que plusieurs années plus tard.

     On trouve donc énormément de qualités à cette bande dessinée, qui parvient ainsi à nous parler des effets de la bombe à court et long terme. Parmi les survivants (qui ont tous perdu une partie plus ou moins importante de leur famille), il y a ceux qui survivent défigurés (et qui se retrouvent cibles de moqueries), ceux, comme on l’a vu, qui sont malades « à retardement », ceux qui se font exploiter... D’une façon générale, cette saga s'avère aussi une œuvre très instructive sur l’histoire du Japon (pays finalement assez méconnu), ainsi que sur ses rapports avec la Chine et la Corée. Elle montre des scènes très poignantes sur le service militaire nippon, mais aussi la torture chez les Américains comme chez les Japonais. Autres forces de la série : l’empathie dont fait preuve l’auteur, y compris envers certains « méchants » (notamment les enfants), contraints de faire le mal pour survivre, ainsi que les beaux passages, dans l’avant-dernier épisode, sur la passion naissante du héros pour le dessin et sa volonté de créer une œuvre visible dans le monde entier.

     Cela dit, on peut tout de même émettre quelques réserves à la saga qui, comme toutes les séries, a tendance à s’essouffler un peu. Si les premiers épisodes sont les plus intenses, les suivants s’étirent en longueur et se révèlent parfois redondants, à l’image des tomes 5 et 6, qui constituent le « ventre mou » de la série. Les suivants sont de bonne qualité générale et se lisent avec plaisir, mais on sent bien que l’auteur devait faire ses 260 pages, quand 100 de moins auraient largement suffi, d’autant que la vulgarité se fait peu à peu plus présente. Le dessin proprement dit est globalement bon, simple, dynamique, et  restitue habilement les émotions, mais il n’est lui non plus pas exempt de défauts. Il est parfois un peu trop simple et « enfantin », en plus d’être souvent trop « mangesque », avec des postures de personnages improbables, par exemple lorsque ces derniers marchent avec des jambes perpendiculaires, ou encore la « spéciale Ryûta » (les deux bras pliés derrière la tête). On peut également quelque peu s’agacer du personnage de Gen, globalement attachant, mais dont l’héroïsme exacerbé tourne à l’autoglorification, en plus de ne pas être crédible (le gamin a moins de dix ans dans la plupart des épisodes !). Même si dans les ultimes épisodes, l’auteur corrige un peu le tir en rendant son personnage un peu plus vulnérable, reste qu’il fait la plupart du temps figure de superhéros. Cela dit, malgré ces défauts, cette saga-fleuve n’en demeure pas moins incontournable, non seulement en tant que manga, mais plus encore en tant qu’œuvre historique. Bouleversante au plus haut point, elle est tour à tour dure, émouvante, drôle, et se révèle finalement un bel hymne à la vie et à l’optimisme, malgré l’extrême dureté du sujet abordé. On comprend aisément qu’une œuvre aussi puissante ait inspiré un grand nom comme Art Spiegelman, auteur de Maus, qui traitera des camps de concentration. À ne pas rater !

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31 décembre 2017

Au bonheur des fautes (Muriel Gilbert, 2017)

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     Muriel Gilbert fait dans Au bonheur des fautes part de son expérience de correctrice au journal Le Monde. Elle revient sur le chemin (de croix) qui l’a menée au « cassetin » – le bureau des correcteurs – du prestigieux quotidien. Outre l’importance du réseau, primordial pour faire son trou dans le milieu, l’auteure met en lumière la précarité des « métiers de lettres » qu’elle a exercés précédemment (essentiellement de la rédaction et du secrétariat de rédaction), avec missions ponctuelles et licenciements à la clé. Elle décortique également, non sans humour, les caractéristiques du correcteur, « ce drôle de zèbre en voie d’extinction qui est en même temps le gardien de zoo de la langue française ». En évoquant notamment son obsession de la lecture, son besoin de trouver des fautes, à la fois pour se sentir utile et pour ne pas relâcher son attention, et bien sûr sa hantise de laisser passer une « coquille ». La correctrice souligne en outre l’aspect frustrant voire ingrat de ce travail qui, en plus de ne « ne se [remarquer] que quand il est mal fait », se révèle impossible, puisque les 100 % de fautes corrigées sont selon elle inatteignables. Car oui, le correcteur, étant avant tout un être humain, est faillible ! Il peut laisser passer des erreurs, et n’a pas même la science infuse. L’auteure décrit d’ailleurs avec malice la déception qu’elle perçoit dans le regard de son interlocuteur lorsqu’il s’avère qu’elle ne répond pas à sa question du tac au tac. En fait, comme elle le remarque avec justesse, « nul champion d’orthographe ne peut prétendre en maîtriser l’ensemble des règles. L’important, c’est de savoir qu’elles existent, et où les trouver pour se rafraîchir la mémoire au moment opportun ». Autrement dit, « le correcteur ne sait pas tout, mais il sait où sont les pièges, ce qu’il lui faut vérifier et où trouver la réponse rapidement ». Belle leçon d’humilité, de lucidité, et même de courage ! Muriel Gilbert évoque également les spécificités du poste de correctrice au Monde, où les conditions de travail diffèrent sensiblement des maisons d’édition, notamment en ce qui concerne les délais extrêmement serrés, avec la fameuse « deadline » de 10 h 30 qu’il est hors de question de dépasser, ne serait-ce que d’une minute !

     Un témoignage assez captivant sur ce métier de l’ombre donc, que l’auteure agrémente de leçons de français qui peuvent se révéler très instructives pour le novice. En ce qui me concerne, étant familier des livres spécialisés en la matière, je connaissais déjà la plupart des points évoqués, même si j’ai tout de même appris certaines choses : j’ignorais par exemple que contrairement à la légende, le mot « triomphe » n’est pas le seul de la langue française à ne rimer avec aucun autre. On trouve en effet, pour ne citer que quatre exemples, « meurtre », « goinfre », « monstre » et « pauvre ». L’auteure traite plus généralement de toutes les fautes qui peuvent se nicher dans un texte, de la ponctuation aux noms propres en passant par le genre des mots, leur sens et les majuscules capitales. Autant dire que ce livre ne manque pas de qualités, même s’il n’est pas dénué, du moins à mon sens, de défauts. Le style, par exemple, est inégal : il se révèle agréable quand l’auteure fait preuve de simplicité, mais celle-ci a trop souvent tendance à chercher la  formule percutante. Muriel Gilbert aurait peut-être aussi pu se passer des passages un peu hors sujet où elle parle de son bébé, des ascenseurs des locaux du Monde ou encore de l’admiration que David Foenkinos porte à ses talents de lectrice… Une bonne lecture dans l’ensemble néanmoins, qu’apprécieront ceux qui souhaitent en savoir plus sur la correction et la langue française.

     N.B. : Par instants, le lecteur à l’affût de la moindre coquille (que je suis) déniche avec un plaisir non dénué de sadisme des erreurs dans le texte, mais s’avère vite déçu quand il réalise que la correctrice s’est amusée à en distiller ici et là pour jouer avec lui ! Cependant, comme le dit si justement Muriel Gilbert, « que ce soit dans les livres ou les journaux, même les plus sérieusement rédigés, édités et corrigés, il reste […] toujours une ou deux fautes ». Cela se confirme ici. Une coquille, non « annoncée » par l’auteure, est en effet passée entre les mailles du filet, tout en haut de la page 221 (« obligtoire »). Désolé, Mme Gilbert, de devoir ainsi vous « vexer comme un pou » ! Et pour remuer le couteau dans la plaie, une consœur blogueuse a elle aussi détecté une erreur cent pages auparavant (« de temps un temps »), qui m’était d’ailleurs passée sous le nez. Coriaces, ces coquilles…

30 décembre 2017

Daytripper (Fábio Moon et Gabriel Bá , 2010/2012)

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    Cette BD, recommandée par A girl from earth (que je remercie pour cette belle trouvaille), regorge de qualités, mais elle est malheureusement très peu évidente à chroniquer. Elle fourmille en effet de tant de détails et de réflexions qu’il faut sans doute la lire une ou deux fois supplémentaires pour en appréhender toutes les subtilités (ce que je ferai avec plaisir, d’ailleurs). Deuxième difficulté : le concept de base, qui fait l’originalité de l’œuvre, ne peut être dévoilé pour préserver l’effet de surprise. Je suis donc obligé d’évoquer cette œuvre de manière assez vague, en me contentant de dire qu’il s’agit de différentes périodes de la vie d’un homme nommé Brás de Oliva Domingo. Ce journaliste, qui travaille à la rubrique nécrologie d’un quotidien brésilien, rêve de connaître le même parcours que son père, écrivain célèbre.

    Que de qualités dans cette bande dessinée ! Outre l’originalité du concept, on ne s’ennuie jamais au cours de ses 250 pages, l’ensemble étant habilement rythmé et très dynamique. L’œuvre brasse avec talent diverses tranches de vie en apportant des réflexions fort intéressantes sur des thèmes aussi fondamentaux que l’amitié, la mort (très présente, étant donné la fonction du héros), l’amour, le rêve, la fuite du temps, la figure du père, l’écriture, en un mot l’existence. Les auteurs, Fábio Moon et Gabriel Bá (frères jumeaux, comme leur nom ne l’indique pas), font notamment preuve d’une délicatesse infinie pour évoquer le sentiment amoureux, et les passages sur la mort sont également très émouvants. Et que dire du magnifique dessin, remarquablement précis, travaillé et élaboré : quelle impressionnante palette d’émotions dans les regards, malgré l’apparente simplicité du trait ! Autre force du graphisme : il diffère selon les périodes de la vie du héros : on change totalement d’ambiance d’un chapitre à l’autre, ce qui est fort bien trouvé.

    Autant dire que je me suis régalé à la lecture de cette œuvre. Même si je ne peux m’empêcher d’émettre quelques petites réserves. D’abord, la structure originale du récit fait que l’ensemble devient légèrement répétitif, et paraît parfois tiré par les cheveux (par exemple avec Jorge dans le désert). La complexité de la narration rend en outre la lecture parfois difficile. C’est tellement déroutant que j’ai dû à plusieurs reprises retourner en arrière pour bien comprendre ce qu’il venait de se passer. Ensuite, j’aurais souhaité que l’ensemble soit plus « brésilien ». L’universalité des thèmes et des personnages fait que cette histoire pourrait la plupart du temps être transposée n’importe où ailleurs. Or, j’aurais voulu en savoir plus sur le quotidien au Brésil. On a bien droit à un passage intéressant sur les inégalités sociales et raciales dans le deuxième chapitre, mais rien d’autre à se mettre sous la dent. Enfin, je regrette un peu la gravité de l’ensemble. Cela tient tant aux événements et thèmes abordés qu’au personnage principal qui, même s’il se révèle très attachant, est peut-être un poil trop sérieux. Certes la mélancolie est remarquablement rendue, mais j’aurais tout de même souhaité que des passages un peu plus « fun » viennent égayer l’ensemble.

     Bien entendu les deux premiers paragraphes de cette chronique l’emportent largement sur le troisième : il faut lire cette BD remarquable d’ambition, de tendresse, d’émotion et d’originalité, sans parler de sa grande qualité graphique. Elle vaut vraiment le détour, et mériterait une bien plus grande renommée. Ne vous fiez donc pas à la couverture, ni très esthétique, ni réellement représentative de l’intérieur. On y voit notamment un homme, avec son chien, qui lit un journal dont les feuillets se perdent. Passionnant… Mais dès les premières pages…

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La lecture de Nico : coups de cœur (et de griffes) livresques
  • Bonjour, ce blog littéraire traite de mes lectures préférées mais aussi des romans que j'ai moins appréciés. Pour l'anecdote, il s'agit de la version modernisée de mon ancien blog (http://leblogdenico.space-blogs.com). Bonne lecture à vous !
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