Ouragan (Laurent Gaudé, 2010)

     D’habitude, j’aime bien Gaudé. C’est vrai, la lecture du Soleil des Scorta (Goncourt mérité en 2004) m’avait enchanté, et j’avais également apprécié La porte des enfers, Eldorado et Dans la nuit Mozambique qui, sans être tout à fait exceptionnels, dégageaient une certaine puissance évocatrice. Pour son dernier roman, Ouragan, qui traite de la catastrophe qu’a connue la Nouvelle-Orléans en 2005, je suis bien plus circonspect. Le roman met en scène six personnages principaux, soit autant de témoins de la tornade : un révérend devenu fou ; un prisonnier évadé ; une « négresse depuis presque cent ans » traumatisée par le racisme qu’elle a subi durant la majorité de sa longue existence ; Keanu, un homme ayant décidé de retrouver Rose, la femme qu’il a laissée six ans plus tôt ; Rose, donc ; et son enfant Byron. Chaque paragraphe est centré sur l’un de ces personnages. Problème : lesdits paragraphes font une, deux, trois pages, ou même seulement quelques lignes, autant dire qu’on passe sans cesse d’un protagoniste à l’autre. Cela devrait dynamiser la lecture (à moins que ce ne soit considéré comme un exercice de style par l’écrivain), mais ça la rend surtout éprouvante : on a un mal fou à ne pas s’égarer dans ce puzzle. Par ailleurs, le roman est très court (190 pages, comprenant une trentaine de pages vierges…), il est donc difficile de s’attacher aux personnages, surtout quand ils ne sont pas crédibles : le révérend fou, par exemple, mais aussi Keanu, qui décide de rejoindre sa belle après une absence de six ans, juste au moment de l’ouragan, et court la retrouver contre vents et marées : difficile à avaler. Autre réserve : le texte évoque une multitude de sujets (racisme, amour, folie, vie carcérale…), mais le lecteur reste sur sa faim au niveau du thème central : l’ouragan. À force de se focaliser sur des « à-côtés » aussi nombreux que diversifiés, l’auteur passe à côté de l’essentiel. Plutôt que de s’attarder sur les dégâts de la tornade et l’atmosphère postapocalyptique qui lui a fait suite, l’auteur bascule dans le roman à suspense type Mary Higgins Clark avec le kidnapping de l’enfant, et le roman à l’eau de rose avec les retrouvailles entre Keanu et Rose. Et puis il y a le style. Difficile de dire si cela provient d’une baisse de régime de l’auteur ou d’un sentiment de lassitude de ma part, mais je n’ai cette fois pas été séduit par l’écriture de Gaudé, qui finit par me paraître un rien tatillonne à force de se vouloir « littéraire ». Cela manque de spontanéité, et la succession de phrases très courtes finit par agacer. Un exemple : 

     « Il n’a plus de pudeur. Il veut qu’elle sente cela en lui. Il ne demande rien. Il veut juste montrer sa nudité. Elle écoute sans jamais le quitter des yeux. Jamais personne ne lui a parlé ainsi. Elle ne peut rien répondre. Que pourrait-elle dire ? »

      Pour terminer sur une note positive, j’ai tout de même apprécié le personnage de Josephine Linc. Steelson, qui, malgré un sentiment anti-Blancs un peu trop prononcé, demeure un témoin poignant du racisme qui a ravagé toute son existence, jusqu’à aujourd’hui, où elle doit vivre avec les souvenirs terribles des atrocités qu’elle et son entourage ont subies… Si ce personnage n’a pas de relation directe avec « Katrina », elle symbolise cependant bien l’histoire de la ville (qui a été fortement touchée par les clivages interraciaux), et a donc bien sa place, elle, dans ce récit. Cela dit, l’ensemble du roman reste très décevant, ennuyeux, difficile à suivre et trop « littéraire » dans le mauvais sens du terme. L’un des moins bons romans de Gaudé, définitivement.