Venise n'est pas en Italie (Ivan Calbérac, 2015)

     Tiens, une bonne surprise. Ça commence à se faire rare… J’ai beaucoup aimé ce roman, à commencer par son aspect protéiforme : j’ai en quelque sorte eu l’impression de lire plusieurs livres à la fois. Et des bons, en plus ! Roman d’amour, récit humoristique, chronique familiale, parcours initiatique, journal intime, road trip : on trouve un peu de tout cela dans Venise n’est pas en Italie. Ce parti pris « fourre-tout » était plutôt risqué, mais le résultat se révèle franchement abouti, car l’auteur jongle sans mal avec les tonalités comme avec les thématiques. De plus, rien de tel pour entrer dans un roman qu’un bon narrateur, et c’est le cas ici : Émile se montre très attachant. J’ai adhéré à ses réflexions – certes un peu trop matures pour son âge – et j’ai trouvé touchant son amour pour Pauline. Difficile de rester de marbre devant tant de sensibilité, d’autant que celle-ci, malgré une certaine naïveté, ne verse jamais dans la mièvrerie. Les personnages secondaires sont également réussis dans l’ensemble : si la mère reste un peu en retrait, le grand frère s’avère plus intéressant. J’ai trouvé très juste sa relation avec le narrateur, tout en raillerie et tendresse. Quant au père, il s’agit sans nul doute du meilleur second rôle du récit. Ce VRP fort en gueule, expert en mauvaise foi et provocations, multiplie les formules chocs et interventions délectables, voire jubilatoires. On comprend vite qu’à chacune de ses apparitions, il peut se passer quelque chose. Et on est rarement déçu !

       Le roman m’a en outre plu par son rythme globalement maîtrisé, alimenté par quelques rebondissements judicieux, jusqu’à un dénouement plutôt inattendu. Quant au contraste entre l’univers du « pauvre » Émile, qui vit – temporairement – dans une caravane avec sa famille, et celui bien plus aisé de Pauline, il est bien rendu, et apporte un plus indéniable à l’histoire. C’est du classique, mais ça n’empêche pas la recette de fonctionner, en particulier durant la première moitié. Le trajet vers Venise est pour ne rien gâcher une franche réussite. Il n’y a qu’à voir la manière (savoureuse) dont Calbérac décrit une aire d’autoroute. Il est d’ailleurs étonnant que ce sujet qui parle à tout le monde soit aussi peu traité par les écrivains, il y a pourtant de quoi faire ! Alors bien sûr, tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des romans, et on peut trouver quelques zones d’ombre à ce joli tableau. L’histoire s’enlise ainsi quelque peu dans le dernier tiers, peu après l’arrivée à Venise. L’auteur essaie probablement d’apporter trop d’explications, ce qui brise la dynamique et la fraîcheur d’un récit qui reposait jusqu’ici, sans que l’on s’en plaigne, sur son aspect absurde. Et puis on finit par se demander ce qui gêne le plus Émile chez sa famille : est-ce vraiment sa classe sociale moins favorisée, ou ne serait-ce pas plutôt son côté « bruyant » et envahissant ? Par ailleurs, je cherche encore l’intérêt des passages relativement nombreux évoquant la teinture du narrateur, qui de mon point de vue n’apportent pas grand-chose au récit. Enfin, les traits de dialogue insérés dans le texte alourdissent un peu la lecture. Mais qu’il n’y ait pas de malentendu, hein : il ne s’agit là que de petites réserves qui n’enlèvent rien, ou presque, à ce roman tendre, drôle et émouvant. Une belle découverte !

     N.B. : une question m’a interpellé : quand se déroule le récit ? Comme les téléphones portables n’ont pas l’air d’exister, l’histoire ne devrait pas se passer au-delà des années 90. Si on part de ce principe, l’auteur a peut-être commis une erreur en faisant souvent employer au narrateur le mot « juste » (« j’étais juste terrorisé »), qui me semble-t-il sonne très XXI^e siècle.