Tintin, Le rêve et la réalité (Michael Farr, 2001)
L’étude la plus célèbre du reporter du Petit Vingtième est Le monde d’Hergé, mais cette dernière ne vaut pas le plus méconnu mais néanmoins remarquable Tintin, Le rêve et la réalité de Michael Farr. Il s’agit tout simplement d’une réussite totale, jusqu’au choix du titre, à la fois envoûtant, mystérieux et prometteur. Dans cette anthologie richement illustrée, Farr décortique chaque épisode de la série, de l’inaugural Tintin au pays des Soviets à l’inachevé L’Alph’art. Lisez cet ouvrage et vous saurez tout, tout, tout ce que vous avez envie et besoin de savoir sur le reporter belge. Il fourmille d’anecdotes et montre à quel point les travaux d’Hergé (d’Hercule ?) reposaient sur une recherche proprement hallucinante, puisque rien n’était jamais laissé au hasard chez le dessinateur belge. Michael Farr passe tout au peigne fin. Le contexte (historique, politique et psychologique) dans lequel a été rédigée l’histoire, mais aussi les clins d’œil, les sources d’inspiration de l’auteur, et les évolutions entre les différentes versions de chaque épisode. Pourquoi l’angoisse est-elle si présente dans L’étoile mystérieuse ? En quoi Le lotus bleu constitue-t-il un tournant dans la série ? Pourquoi Haddock n’apparaît-il pratiquement pas dans Tintin au pays de l’or noir ? Hergé était-il vraiment raciste ? L’auteur répond à toutes ces questions – et tant d’autres – avec une minutie impressionnante, à travers un style très agréable et maîtrisé, tout en mettant en avant l’étonnante force graphique de certains dessins, comme le rêve de Tintin dans Les cigares du pharaon (en particulier dans la version noir et blanc), la façade du gratte-ciel de Tintin en Amérique ou la tout aussi vertigineuse scène du train du Temple du Soleil.
On l’a bien compris, cette étude est l’œuvre d’un grand passionné, mais passion ne rime pas ici avec aveuglement : tout grand admirateur qu’il est, Farr n’en demeure pas moins sévère (mais probablement juste) à l’égard de certains épisodes, plus par exemple que l’était un Benoît Peeters, dont le Monde d’Hergé, malgré ses qualités, semblait parfois manquer de recul. Farr n’hésite ainsi pas à déplorer l’absence de rigueur scénaristique des premiers épisodes (tiens, j’ai partiellement répondu à l’une des questions posées plus haut), à fortement critiquer le net essoufflement de la seconde moitié de Vol 714 pour Sydney, et à regretter la version intermédiaire de L’île noire, qui lui paraît plus « spontanée » et « poétique » que la définitive. Le seul défaut du livre est finalement le revers de la médaille de son impressionnante richesse : le sens du détail poussé à l’extrême dont fait preuve l’écrivain. On peut donc déplorer quelques « longueurs » à cette étude, notamment lorsque Farr s’attarde sur des détails purement techniques qui auront de bonnes chances de barber les simples amateurs dont je fais partie. Mais il ne s’agit bien entendu que d’un menu défaut, qui n’éclipse en rien les grandes qualités d’un ouvrage qui impressionne autant par la clarté, la finesse et la pertinence du propos, que par la richesse des informations et enfin la mise en page, de toute beauté. Si vous ne devez en consulter qu’un…