Sans espoir de retour (David Goodis, 1954/1956)

     Il est difficile de trouver titre plus évocateur que Sans espoir de retour, de l’Américain David Goodis. Dans ce roman noir, Whitey, ancienne gloire de la chanson, vit dans la rue depuis sept ans. Il survit dans un quartier mal famé situé à deux pas de « l’Enfer », « un champ de bataille permanent. Il s’y livrait une guerre sans merci où les combattants se déchaînaient avec la férocité d’êtres qui ont perdu tout sentiment humain ». Le quotidien du héros ? Chercher à boire, et éviter les conflits interraciaux qui se multiplient depuis quelque temps… Mais Whitey, en bon héros « goodisien », est fortement poissard : parce qu’il s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, il est victime d’une erreur judiciaire. Et les ennuis ne font pour lui que commencer… Grande réussite que ce roman (très) noir : style élégant et efficace, sens aiguisé du dialogue, rythme parfait (pas une minute de répit !) et structure prenante : l’écrivain utilise le flashback pour dynamiser la lecture, et revenir sur le passé glorieux du héros, qui contraste fortement avec la vie misérable qu’il mène depuis plusieurs années. Goodis évoque également avec brio la violence humaine (via les émeutes raciales, mais aussi la brutalité de certains flics) et nous fait prendre conscience – leitmotivs de son œuvre, présents jusque dans le titre de la traduction française – qu’une vie peut complètement dégringoler du jour au lendemain, qu'il est impossible de revenir sur son passé, et que destin et fatalité sont plus forts que tout. Pour autant – et voilà l’un des grands mérites de l’écrivain – ce roman ne se complaît pas dans le glauque, le sadisme ou l’ultraviolence. De même, malgré sa noirceur, Sans espoir de retour n’a pas le côté un peu déprimant de certains polars scandinaves (Mankell et Indridason, notamment), grâce à la tendresse que nous inspire le héros et à la vivacité du style. Bref : plume percutante, rythme haletant, force et diversité des thèmes abordés… Du grand art !